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rare talent en nous montrant cette nature indépendante, fière et passionnée, aux prises avec les lois de notre civilisation. L’amour de Morenita pour son tuteur, sa colère en apprenant que Stéphen ne peut l’aimer, qu’il n’aimera jamais que Mme de Saules, sont retracés avec précision, avec éloquence. — Notons en passant qu’une fille de quatorze ans, quoique bohémienne, n’a pas trop bonne grâce à grimper sur un arbre, fût-ce même pour jeter sur la tête de son tuteur une pluie de violettes. C’est une espièglerie d’assez mauvais goût, car Morenita est femme par le cœur, et de pareilles équipées ne conviennent qu’aux enfans. Cependant cette seconde partie offre encore un grand nombre de pages très dignes d’éloges.

Quant à la dernière partie, j’ai regret à le dire, elle touche trop souvent au mélodrame. L’affection de Morenita pour l’homme qu’elle croit d’abord être son frère, sa confiance illimitée tant qu’elle garde cette croyance, sa révolte en apprenant qu’elle a été trompée, pourraient nous intéresser, si elle ne finissait par se livrer à l’homme qu’elle a d’abord accablé de son mépris, et si, pour s’échapper du couvent, elle n’avait recours à un travestissement, à un tour de passe-passe qui serait tout au plus de mise en carnaval. Cette dernière partie du récit ne saurait être comparée aux deux premières. C’est grand dommage, car si de trop nombreuses digressions viennent briser la trame de la narration, la Filleule offre plus d’une scène racontée avec une naïveté charmante ; si la fin répondait au commencement et au milieu, il suffirait d’enlever quelques pages pour contenter le goût des juges les plus délicats.

Les Maîtres Sonneurs sont une nouvelle tentative dans le champ de la simplicité absolue. Je crains fort que l’auteur ne soit engagé dans une fausse route. Il parait croire que la langue parlée dans nos villes ne se prête pas à la simplicité, et pour régénérer l’art, pour lui rendre sa naïveté primitive, il se met à parler la langue du village. Ou je me trompe étrangement, ou ce n’est là qu’une puérilité sans profit pour l’art. Dans le nouveau récit, l’invention proprement dite tient très peu de place ; en revanche, les incidens les plus vulgaires, les détails les plus insignifians, sont racontés dans un idiome singulier, qui sans doute n’appartient pas à la ville, mais qui ne me semble pas appartenir au village. Je trouve dans cette prétendue naïveté beaucoup plus d’affectation que de franchise. Les pensées mêmes que l’auteur s’est proposé de rendre contrastent d’une manière frappante avec l’intention qu’il annonce, car elles ne sont rien moins que simples. Les personnages analysent leurs moindres sentimens avec une sagacité qui ferait honneur aux casuistes les plus subtils, et quand ils ne parlent pas d’eux-mêmes, quand ils se mettent à parler de l’art, ils exposent des théories qui semblent empruntées aux universités