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autant qu’on puisse gâter ici-bas une créature du bon Dieu. Si elle avait envie d’un fruit mortel, il était le premier à le cueillir pour elle. Cependant elle m’a assuré, et je le crois, qu’il n’y avait pas eu dans sa vie, à l’époque où elle s’est mariée, le moindre attachement romanesque. Chez elle, l’incendie avait commencé par le cerveau, si l’on peut appeler incendie la flamme mystérieuse qui dévore cette froide nature sans l’échauffer.

Le duc de Glenworth alla se faire tuer aux Indes l’année même où elle l’épousa. Il était beau, comme le sont les Anglais quand ils se sont emparés en naissant de la beauté, et il ne vécut avec elle que trois mois. Eh bien ! il ne lui laissa pas un seul souvenir de tendresse. Il l’avait froissée dans son orgueil, et l’orgueil était le souverain maître de cette fille du serpent. Thécla prit son mari en suprême dédain, parce que son mari ne lui sembla point avoir pour elle une superstitieuse adoration. Elle méprisait, avec une singulière candeur, tous ceux qui ne la regardaient pas comme une sorte de personnage surhumain, qui n’instituaient pas en son honneur, aussitôt qu’ils l’avaient vue, une religion à part formée d’amour et d’admiration. Glenworth lui parut le plus brutal et le plus inintelligent des hommes, parce qu’il s’était imaginé de la traiter tout simplement connue sa femme. Je ne saurais dire quelle expression prenaient ses lèvres lorsqu’elle parlait de lui. — Le duc de Glenworth, m’a-t-elle dit une fois, n’a pas même été une apparition dans ma vie. — Ainsi le mariage ne fut pour elle que le néant.

Elle était veuve depuis deux ans quand elle vint en France. Elle reçut à Paris un de ces accueils qu’on ne peut trouver que là. Je crois que Voltaire, après la tragédie d’Irène, ne fut pas plus choyé qu’elle. On disait que c’était une incarnation de l’esprit, une révélation de la beauté. Elle prolongea les jours d’un ministère en enlevant pendant trois mois, aux chefs des oppositions fashionables, l’attention des salons. On se demandait toutefois quel serait le possesseur de ce trésor, car un trésor ne peut pas rester sans possesseur : c’est une loi sociale. Thécla ne tarda pas à faire un choix, comme on dit, et ce choix eut l’approbation universelle. Moi-même, une fois dans ma vie, je partageai presque l’opinion du monde.

Il y avait à Paris, en ce temps-là, le prince Olivier de Trênes, celui qui a été récemment égorgé dans une émeute autrichienne. Olivier possédait à juste titre cette réputation d’élégance qui, de nos jours, est d’ordinaire un bien usurpé, et usurpé singulièrement. Légitimiste par mainte raison, il pensait que des sentimens chevaleresques doivent se montrer par un peu de chevalerie ; il avait offert à sa foi politique autre chose que des attitudes, des paroles et de l’encre : il avait fait en Espagne la dernière et admirable campagne de Zumalacarregui.