Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au sortir de l’armée carliste, il avait pris du service en Autriche, et, depuis quelques années, tantôt à Vienne, tantôt à Paris, il se livrait à l’immortel passe-temps que chacun sait. Il racontait sur tous les tons, aux filles d’Eve, la vieille histoire que le serpent a commencée. Toutefois ce n’était ni un chevalier de Valmont, ni ce fatal personnage dont l’imagination moderne a fait un ardent et désespéré penseur. Il ne demandait point aux femmes des jouissances de vanité, encore moins des satisfactions philosophiques ; dans l’amour, il ne cherchait que l’amour, et cela suffisait à l’occuper.

Je n’oserai nier pourtant que, dans cette recherche, son cœur ne se fût un peu usé. Nul n’a su mieux que moi quel feu renfermait son âme ; mais ce feu couvait sous des cendres tièdes qu’il se plaisait, je crois, à ne pas trop déranger. Aussi sa liaison avec Thécla fut-elle ce qu’elle devait être. Il se passa entre ces deux représentans des splendeurs mondaines un drame qui se joue assez souvent entre dignitaires de cette espèce : chacun des deux amans attendit que l’autre se mit à l’adorer. Lady Glenworth avait une qualité qu’on lui a refusée souvent, parce qu’elle la cachait d’habitude sous une excentricité pompeuse. Par instans jaillissait tout à coup de son intelligence, quand certains mots ou certaines situations la frappaient, de l’esprit, du véritable esprit, comme celui d’Hamilton. Un beau jour, elle se mit à rire en regardant Olivier, et dit tout haut ce que tous deux s’étaient dit tout bas. Olivier rit à son tour, et de cette commune gaieté naquit entre eux un sentiment nouveau qui n’était point l’amour, comme bien on pense, ni assurément non plus l’amitié.

C’était une sorte de familiarité moqueuse, une confiance mêlée d’ironie, une intimité à récréer sous la pierre du sépulcre les mânes de M. de La Rochefoucauld. Si Olivier se fût borné à ne pas l’adorer, Thécla aurait eu pour lui, comme pour son mari, un indicible dédain, et voilà tout ; mais il avait eu la prétention d’être adoré d’elle : cela lui semblait une étrangeté qui méritait à jamais une place dans ses souvenirs. Toutes les fois qu’elle le voyait, elle le regardait comme un objet digne d’une particulière curiosité, Trênes étudiait avec plaisir, de son côté, cet égoïsme naïf, cette vanité sans mesure, cette fantaisie sans frein. Il l’appelait sans cesse Fausta, Mephistophela, donna Giovanna, quelquefois Sémiramis et Cléopâtre. « Vous vouliez donc, lui disait-il un jour, avaler mon pauvre cœur comme une perle précieuse ? — Si votre cœur a jamais été une perle, répondit-elle en riant, il y a longtemps qu’il s’est dissous dans du vinaigre, comme le joyau dont vous parlez, et c’est du vinaigre seulement que j’ai gardé le goût. »

Voilà quel était à peu près le ton de leurs causeries. Du reste