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V

Peu de temps après cette scène, Olivier se rendit un soir chez la duchesse, qu’il trouva seule et en disposition mélancolique. Thécla ne dessinait pas, n’écrivait pas, ne lisait pas ; elle était étendue sur une de ces chaises inventées pour les corps paresseux qu’habitent des âmes songeuses, et regardait alternativement ce que le logis renferme de plus pensif : un foyer où les flammes se livraient à leurs danses mystérieuses, une pendule qui faisait la triste besogne de toutes les machines destinées à constater le décès des heures. Olivier s’assit en face d’elle avec la solennité d’un médecin qui va prononcer une sentence. Il attacha sur ce beau visage, où se montrait la pâleur des incurables ennuis, un regard qui eut presque de la pitié, puis il débita le discours que voici :

— Ma chère duchesse, le monde est irrité contre vous. Ne m’interrompez pas pour me dire que c’est un dieu dont vous n’avez pas de souci. Qui n’appartient ni au cloître, ni à la tombe, ni à l’amour, appartient fatalement au monde, qu’on peut appeler la grande incarnation de toutes nos vanités. Quand le monde, dont les plus aveugles, les plus injustes colères ont tant de puissance, est juste par hasard dans son courroux, il est armé d’une autorité invincible. Je suis forcé de vous le dire, je le trouve juste aujourd’hui. Il ne veut pas qu’un de ses joyaux les plus précieux devienne le trophée d’un sauvage. Il vous crie : « Ne vous avais-je pas donné assez de liberté ? Je vous ai permis de cueillir tous les fruits qui sont dans mon jardin, même ceux que le serpent recommande ; pourquoi allez-vous chercher des fruits d’un aspect inconnu et d’un goût détestable dans des jardins étrangers ? »

— Voilà de fort belles paroles, fit Thécla ; mais, si je traite avec une égale indifférence le maître tout-puissant dont elles émanent et l’éloquent messager qui me les répète, que m’arrivera-t-il ?

— Il vous arrivera, repartit Olivier, que vous serez sous le coup d’un interdit dont certainement vous souffrirez. Votre personne sera proscrite, votre maison abandonnée. On inventera contre vous nulle persécutions ingénieuses, qui atteindront votre orgueil jusqu’en ses plus secrets asiles, en ses plus inaccessibles forteresses. Je sais fort bien que vous prendriez plaisir à encourir un de ces grands et poétiques anathèmes qui donnent à ceux qu’ils atteignent une majesté fatale ; mais telle ne sera pas la réprobation dont vous serez frappée. On vous ensevelira dans l’oubli comme dans une tombe ; seulement votre repos sera troublé de temps en temps par un imperceptible essaim