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notre orgueil, ce qu’on peut encore aujourd’hui souhaiter de plus heureux, c’est que les hommes dans la vie sociale se conduisent comme les animaux dans les légendes dont nous venons de parler, car la poétique utopie de l’âge d’or serait réalisée. Le pauvre ne craindrait plus qu’on lui dérobât sa brebis ; chacun, comme le lion de Zosimas, s’humilierait pour réparer ses torts. L’homme fatigué par le voyage de la vie, comme les hirondelles de saint Guthlac par leurs migrations lointaines, trouverait partout sur sa route l’abri du toit de chaume, et comme la jeune vierge au nid de cygnes, l’orphelin trouverait un père.


II. – LES ANIMAUX FABULEUX ET LES BETES DE L’ENFER.

Les êtres que nous avons vus jusqu’ici figurer dans les récits des hagiographes appartiennent tous au monde réel : ce sont des lions, des hyènes, des aigles, des corbeaux, des cerfs, des hirondelles, des chiens ; seulement ils sont transfigurés par les écrivains qui les mettent en scène, et malgré la variété de leurs espèces et leurs instincts sauvages, ils représentent tous, en s’humiliant devant les hommes éminens en vertus, ce qu’on pourrait appeler les enfans régénérés d’un nouvel âge d’or ; ils sont les amis des saints et les modèles des hommes. Il en est d’autres au contraire, qui, loin de s’adoucir, restent, comme Satan, endurcis dans le mal, et déclarent aux hommes et aux saints une guerre à outrance ; ceux-là ne sont en général que des êtres de pure fantaisie, enfans des monstres païens défigurés par le moyen âge, et dont l’imagination des mystiques et des poètes peuple au gré de sa fantaisie la terre et l’enfer. Eclos du rêve et de la vision, ces êtres redoutables ne servent plus, comme la hyène de saint Macaire, les onagres de saint Antoine, les hirondelles de saint Gutlac, à instruire, à édifier les hommes, mais à les combattre, à les épouvanter dans ce monde et à les punir dans l’autre.

Au premier rang de ces bêtes terribles et fabuleuses apparaît le dragon, dont l’histoire forme dans la plupart des légendes un épisode inévitable, et qui représente, comme Satan, la cruauté, la haine de l’homme et l’endurcissement dans le mal. En reparaissant dans les traditions des temps chrétiens, les dragons conservent quelques-uns des attributs qui les distinguent dans les récits fabuleux de l’antiquité ; ce sont des êtres d’une force prodigieuse, cruels, implacables, qui font le mal pour le seul plaisir de le commettre. La plupart du temps les écrivains les mentionnent sans les décrire : mais les vignettes des manuscrits, les sculptures des églises suppléent à leur silence, et dans les traditions religieuses les dragons se présentent presque toujours sous la forme du serpent combinée avec celle du