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du prétendu maître, sans prendre garde même aux infidélités historiques les plus évidentes, sans s’étonner le moins du monde que M. Bezzuoli eût négligé les monumens de l’époque, qui de toutes parts lui offraient des renseignemens ; pour étudier à la Pergola le geste et le costume de ses héros. Dans un autre ordre de sujets, les exemples du passé semblaient plus méconnus encore. À l’exception de M. Marini, dont la manière un peu débile révèle au moins le respect des traditions, les peintres qui avaient à représenter quelque scène religieuse ne cherchaient des leçons ni sur les murs des cloîtres, ni dans les tableaux des galeries : tout se bornait pour eux à l’imitation du modèle vivant, à l’application des principes indigens du classicisme contemporain. La coupole de L’église San-Lorenzo à Florence, décorée par M. Benvenuti, la chapelle peinte à Saola-Croce par M. Sabatelli, montrent en quelles mains était tombé l’héritage des grands maîtres et ce qu’était devenue la peinture religieuse aux lieux mêmes où s’étaient succédé les plus beaux témoignages de sa gloire.

Cette indifférence qu’affichaient les artistes toscans pour leurs nobles aïeux, les historiens de la peinture la partageaient il y a bien peu d’années encore. La plupart des écrits publiés en Italie sont loin d’exprimer une vénération sérieuse pour les travaux de l’école primitive. De rares indications chronologiques, quelques anecdotes d’une authenticité douteuse, voilà les seuls secrets que l’on consentit à livrer sur les origines de la peinture italienne. En revanche, les détails relatifs aux artistes de la décadence abondaient dans ces écrits. Tout restait à dire sur les chefs de l’école : on n’avait su nous parler que de leurs successeurs dégénérés, et comme si ce n’était pas assez des injustices de l’histoire, quelques-uns de ces peintres secondaires, L’Albane et le Guide par exemple, devaient au hasard d’un nom euphonique le privilège d’attirer les hommages traditionnels de la poésie.

Beaucoup de points restaient donc à éclaircir dans cette histoire si compliquée des écoles italiennes, beaucoup d’erreurs subsistaient qu’il était plus que temps de détruire. La lumière commence à se faire, au moins en ce qui concerne les progrès successifs de l’école toscane, de l’autre côté des monts, on semble avoir enfin compris qu’il appartenait aux descendans des maîtres de rechercher les titres de ceux-ci, et, comme pour poser d’abord la question dans des termes formels, une association de graveurs publia, il y a quelques années, à Florence, la série des tableaux conservés à l’Académie des Beaux-Arts. On sait que la collection de l’Académie offre les spécimens de l’art florentin à toutes les époques. Reproduire de telles œuvres, c’était transcrire : les annales mêmes de cet art, c’était aussi résumer en quelques traits l’histoire nationale tout entière, car les grands artistes et le caractère de leurs travaux répondent en Toscane, plus manifestement que partout ailleurs, aux diverses, phases du développement social. L’essor de Cimabue coïncide avec les premiers élans de la civilisation. Expression exacte de la religion et des mœurs contemporaines, les peintures de Giotto respirent une sombre grandeur, et plusieurs générations d’élèves continuent l’austère manière du maître jusqu’à l’époque où l’énergie de la foi disparaît avec la rigueur des institutions politiques. À ce moment l’art se modifie, mais sans se transformer encore complètement. Il a une physionomie plus familière, une allure moins obstinément raide dans les œuvres des peintres nés à la fin du XVIe siècle ;