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que chez un souverain comme l’empereur Nicolas l’intelligence et la prudence sont assez fortes pour dominer les entraînemens d’un jour. En définitive, il n’y a plus d’autre alternative que de se prêter aux combinaisons proposées par l’Europe, ou de risquer une conflagration générale où la Russie resterait seule. Le mot de cette situation est le secret de demain.

Et tandis que sur ce point les faits se pressent ou s’arrêtent alternativement, interrogés tous les jours avec anxiété par tous les esprits pour savoir ce qui va sortir de ce conflit obsédant, tandis que nous observons dans leur mobilité ces événemens d’Orient, qui résumant les questions les plus sérieuses de politique générale, les préoccupations de l’Europe, ses intérêts de sécurité et peut-être ses périls, est-ce donc qu’il n’y ait point d’autres signes propres à caractériser notre temps, les phases morales ou politiques de notre pays à un point de vue différent ? Oui, sans doute, en France aujourd’hui, la politique, ramenée à des conditions invariables et bornées, après s’être trop complu dans les espaces sans limites, est peu féconde en événemens et en surprises. L’élection d’un député nouveau, avec une majorité quelconque, ne saurait être évidemment considérée ni comme un événement ni comme une surprise. C’est même des instans où l’on ne peut plus compter beaucoup de ces mesures dues à l’initiative du gouvernement, et qui touchent à l’organisation administrative ou aux intérêts positifs et matériels du pays. C’est à peine en ce moment si on pourrait noter les dispositions qui maintiennent jusqu’au mois de juillet 1854 les réductions de droits sur l’entrer des grains étrangers et les facilités accordées au transport de certaines denrées alimentaires. Cela ne veut point dire que dans ce silence même des événemens intérieurs et en dehors du domaine des intérêts matériels, il ne se produise souvent de ces faits qui, pour n’être point strictement politiques, ont encore leur valeur et leur signification. Il y a les faits qui semblent rouvrir à nos yeux les pages de toute une histoire, en montrant les retours qui s’accomplissent. Il y a les faits qui sont l’indice du travail et des tendances générales des esprits après les commotions profondes. Il y a les faits qui, des sphères de la littérature et des arts, laissent tomber comme une lumière nouvelle sur le cours des choses. Quand les événemens se taisent, un certain nombre de discours prononcés dans des conditions bien différentes ont leur place parmi les signes du temps. La vie politique si morale d’une société ne se compose pas toujours heureusement de coups de foudre et de coups de théâtre. Elle a ses nuances, ses symptômes et aussi ses révélations mystérieuses.

Le fait le plus propre à remettre en quelque sorte debout devant nous notre histoire passée dans toute son éloquence, n’est-ce point l’inauguration récente du monument élevé au maréchal Ney ? A la place même où tombait, il y a trente-huit ans, cet illustre homme de guerre, il obtient aujourd’hui une statue. Étrange destinée ! Voilà un homme qui pendant vingt années parcourt tous les champs de bataille de l’Europe ; son courage se montre égal à toutes les entreprises de la guerre et à tous les périls. L’un des premiers parmi les soldats de ce temps, il associe son nom aux gloires d’Elchingen, d’Iéna, d’Eylau, de Smolensk, de la Moskowa, bravant mille fois la mort. Il se trouve cependant qu’un jour il va tomber, d’une manière tragique et vulgaire à la