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mais dites, je vous en prie, à Mme de Nassau, qu’il est ridicule de me consulter comme elle le fait sur toutes mes affaires. Je lui ai donné une procuration bien générale, parce que je m’en rapporte absolument à elle. Si elle a besoin de conseils, elle n’a qu’à vous en demander : ils vaudront mieux que les miens. Dites-lui bien que je ne répondrai plus aux articles de ses lettres qui me parleront affaires. Adieu, mon cher Beaumarchais. Croyez que personne ne vous est plus attaché que moi.

« Nassau. »
« Ce 25 juillet 1782. »


Il était en effet un peu dur pour un héros d’être poursuivi par du papier timbré jusque sous le feu de l’ennemi ; mais, d’un autre côté, la pauvre princesse ne savait où donner de la tête. Le prince avait en Flandre des terres qu’il mettait en vente ; malheureusement il y avait des procès qui arrêtaient la vente de ces terres. La princesse avait aussi des biens en Pologne qu’elle vendait et qui servaient à payer une partie des dettes de son mari ; mais le gouffre était effrayant et difficile à combler. Elle jetait les hauts cris et renvoyait tous ces tracas à l’ami Bonmarchais, dans les papiers duquel on voit ainsi circuler les types les plus variés du créancier de prince sous l’ancien régime, depuis les plus honnêtes et les plus débonnaires, véritables personnifications de M. Dimanche, jusqu’aux plus impérieux qui parlent philosophie et veulent exécuter un héros comme un simple mortel.

Cependant le prince se couvre de gloire au siège de Gibraltar. Le roi d’Espagne lui accorde la grandesse ; mais il paraît que cet honneur oblige à dépenser de l’argent : le prince, comme à l’ordinaire, n’en a plus, et comme à l’ordinaire aussi la princesse, qui n’en a pas davantage, en demande à Beaumarchais. Celui-ci, qui a déjà fourni l’argent nécessaire à l’équipement du guerrier, se fait un peu tirer l’oreille. Cependant il est bon prince lui-même :


« Quoique je sois horriblement gêné, écrit-il à la princesse, je vais lui faire passer à Madrid encore 1,000 écus du fond de ma bourse, et vous pouvez lui écrire par le courrier de demain qu’ils sont à ses ordres chez le même banquier de Madrid qui lui a fourni les premiers fonds ; je ne puis souffrir que pendant qu’il se couvre de gloire et qu’il travaille à réparer ses affaires, les embarras de la vie habituelle y mettent le plus triste obstacle. »


La princesse, qui aime passionnément son mari, se confond en remerciemens :


« Que vous dirai-je, mon cher ami ? écrit-elle à Beaumarchais, Comment vous exprimer toute ma reconnaissance, et dans quelle occasion pourrai-je en avoir davantage que lorsque vous venez au secours de tout ce que j’ai de plus cher au monde ? Je lui envoie votre lettre ; je n’ai pas besoin de lui faire sentir tout ce qu’il vous doit ; il a un cœur comme le mien, et il vous connaît aussi bien que moi. »