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contentement que j’ignore, si je ne savais que je suis l’homme sur la facilité duquel vous avez toujours le plus compté. Vous avez trop d’honneur pour que je prenne de l’inquiétude ; vous me paierez quand vous croirez le devoir et le pouvoir sans altérer votre bien-être. L’air de la liberté n’a point tué ma sensibilité ; je suis toujours le même, comme Robin, et je veux vous aimer avec le désintéressement d’un sylphe. Recevez les salutations du cultivateur,

« Beaumarchais. »


Après la mort de Beaumarchais, le caissier Gudin constate que la créance de son patron sur le prince de Nassau, réduite sans doute par des à-comptes, se monte à la somme de 79,858 francs. Cette dette a-t-elle été payée par le prince, qui survécut assez longtemps à Beaumarchais, ou bien faut-il ranger ce paladin du moyen âge parmi les débiteurs insolvables ? C’est ce que j’ignore ; mais par tout ce qui précède, on saisira mieux la véritable physionomie de l’existence de Beaumarchais au moment du Mariage de Figaro, et l’on comprendra quelles variétés de ressources il pouvait au besoin employer pour faire jouer une pièce de théâtre malgré Louis XVI, le garde des sceaux et M. Suard.


II. — LE MARIAGE DE FIGARO.

Cette comédie fameuse, qui ne devait être jouée pour la première fois que le 27 avril 1784, fut terminée par l’auteur et reçue au Théâtre-Français dans les derniers mois de 1781[1]. Si j’en crois une lettre inédite de Beaumarchais exposant au ministre de la maison du roi, M. de Breteuil, les vicissitudes de sa pièce avant d’arriver à la représentation, ce serait d’abord à l’insu de l’auteur qu’auraient eu lieu les premières lectures.


« Aussitôt que les comédiens, écrit Beaumarchais, eurent reçu par acclamation ce pauvre Mariage, qui depuis a eu tant d’opposans, je priai M. Lenoir (le lieutenant de police) de me nommer un censeur, en lui demandant comme une grâce particulière que la pièce ne fût lue par aucune autre personne, ce qu’il voulut bien me promettre en m’assurant que ni secrétaires ni commis ne toucheraient le manuscrit, et que la pièce serait censurée dans

  1. C’est ce qui résulte d’une lettre inédite de Sedaine, qui avait assisté à une première lecture faite chez Beaumarchais en septembre 1781, et d’une lettre de Mlle  Fanier, soubrette du Théâtre-Français, qui écrit à Beaumarchais en date du 11 octobre 1781 pour réclamer le rôle de Suzanne, que l’auteur veut donner à Mlle  Contat, dont Mlle  Fanier prétend que ce n’est point le genre. Mlle  Contat tenait en effet l’emploi des jeunes premières, mais la perspicacité de l’auteur du Mariage de Figaro le porta à penser que le rôle de Suzanne tel qu’il l’avait conçu serait parfaitement joué par Mlle  Contat, et comme un auteur est libre de distribuer à son gré les rôles de sa pièce sans tenir compte des emplois, il persista dans son choix, ce qui fut très heureux à la fois pour le succès de sa comédie et pour Mlle  Contat, dont le talent était déjà très distingué, mais dont la brillante réputation date surtout du Mariage de Figaro.