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gans du bas peuple dont l’exemple ne peut être dangereux pour aucun homme du monde. D’ailleurs, je crois qu’en s’élevant par la crainte du danger contre certaines choses peu importantes, on leur donne une valeur qu’elles n’avaient point, et l’on inspire aux sots ou aux méchans une crainte ou un avis d’un danger qui n’a point de réalité. »


Après avoir ensuite proposé deux suppressions, l’une du mot ministre, et l’autre d’un passage qui a été en effet retranché et qui faisait allusion au jugement de Salomon, le sévère historien Gaillard conclut ainsi :


« Cette pièce m’a paru très bien écrite. Les personnages y parlent comme ils doivent parler, suivant leur état, et je la crois très propre à attirer à la Comédie, qui en a grand besoin, beaucoup de spectateurs et par conséquent beaucoup de recettes[1]. »


L’aimable censure de M. Gaillard ne suffit pas à Beaumarchais ; il demande encore autre chose pour consentir à la représentation de Gennevilliers : « La pièce approuvée de nouveau, écrit-il dans son mémoire inédit à M. de Breteuil, je portai la précaution jusqu’à prévenir qu’elle ne devait pas être jouée pour la fête sans que j’eusse avant la parole expresse du magistrat que les comédiens français pouvaient la regarder comme appartenant à leur théâtre, et j’ose certifier que cette assurance me fut donnée par M. Lenoir, qui certainement croyait tout fini, comme je dus le croire moi-même. »

Pour apprécier la valeur diplomatique de ce passage et l’art avec lequel Beaumarchais, dans sa ténacité pleine de souplesse, savait enlacer les gens qui le gênaient et qu’il ne pouvait pas combattre de front, il faut se souvenir qu’il lutte dans ce moment contre une défense expresse de représentation publique émanée de la bouche même du roi, défense que le roi consent à lever, mais seulement pour un jour, dans une maison particulière, et pour complaire au comte d’Artois et à M. de Vaudreuil. Beaumarchais, de son côté, voudrait bien n’accepter Gennevilliers qu’à la condition qu’on lui

  1. Comme je tiens à être rigoureusement exact, je dois dire que ce rapport très curieux à mon sens comme témoignage de l’esprit du temps, se trouve dans les papiers de Beaumarchais, sans signature, portant seulement cette indication écrite de sa main : Copie de la censure du Mariage de Figaro, remise à M. Lenoir par le censeur ; mais ce qui me donne la conviction que ce rapport est bien celui de Gaillard, c’est que parmi ces mêmes papiers se trouvent en original les autres rapports des censeurs, tels que Coqueley, Desfontaines, Bret, qui ont été successivement chargés d’examiner l’ouvrage. Il n’y manque que le rapport de M. Suard, le seul absolument défavorable, concluant à l’interdiction de la pièce, et qu’on aura probablement refusé de communiquer à Beaumarchais. Par conséquent le rapport anonyme que nous venons de citer ne peut être que celui de Gaillard, dont Beaumarchais fait souvent valoir l’approbation, et qui semble se déceler d’ailleurs suffisamment par ses allusions aux crimes de l’histoire et aux gens sournois.