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Qu’il venait déposer comme sur une bière !
Un vieillard qui suivait vit le doux chevalier,
Et vint tout près de lui, pâle, s’agenouiller.
« Oui, mon vieux serviteur, fais que Dieu me bénisse !
Pour elle aussi prions… Jésus, quel sacrifice ! »
Et tous deux les voilà priant sur les pavés.
Sous leurs cheveux pendans leurs yeux au ciel levés.
Et maître et serviteur, et vieillard et jeune homme :
Toi qui rapproches tout, c’est Douleur qu’on te nomme !

II.


La fille du manoir disait le même jour :
« Ma mère, cette preuve encor de votre amour !
Mon esprit s’est créé peut-être une chimère ;
Mais voyez ma faiblesse, et plaignez-la, ma mère.
Ce jour, dans tous les temps, me fut un jour fatal.
Pour vous comme pour moi, je redoute un grand mal.
Toutes vos volontés sont les miennes, madame.
Donnez à qui vous plaît et ma main et mon âme.
Mais qu’il vienne plus tard, dans quelques jours… demain.
Je lui livre soumise et mon âme et ma main.
— C’est assez. La noblesse et toute la famille
Et tous les domaniers sont arrivés, ma fille ;
Déjà même le prêtre est dans la salle, en bas ;
Il n’est qu’un seul absent dont je ne parle pas.
Rosily, vous savez l’usage de Bretagne :
Devant le fiancé doit s’enfuir sa compagne ;
Trouvez donc un endroit bien sombre où vous cacher,
Et que le jour entier se passe à vous chercher.
Ma fille, qu’à présent votre cœur me pardonne.
Croyez bien, Rosily, que votre mère est bonne…
Mais on heurte au portail et j’entends le sonneur :
Fille des anciens ducs, songez à votre honneur ! »

L’époux et ses amis, comme une meute ardente.
Ont empli le manoir ; mais la biche prudente.
Devançant les limiers aux sauvages abois.
Fuyait vers un abri plus sûr que ceux des bois.
Pêle-mêle ils couraient, nobles, vassaux, vassales,
Visitant les paliers, les tourelles, les salles.
Et les granges enfin, l’étable des fermiers :
La biche défiait le flair prompt des limiers ;
La nuit était venue, on la cherchait encore ;
Cent voix, cent voix criaient au lever de l’aurore ;
Trois jours sur les viviers, sur les puits se penchant,
La mère désolée appela son enfant.

III.


« — Sous ses habits de deuil, morne et la tête basse,
Où va donc ce vieillard ? — Oh ! de grâce, de grâce.
Mes amis, suivez-moi ! C’est la messe des morts
Pour l’enfant qui d’un ange avait l’âme et le corps :