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de ce système, et ils sont puissans, prétendent que le maintien d’une taxe élevée sur les bestiaux étrangers est nécessaire à la prospérité de l’agriculture nationale, et ils affirmeraient au besoin que la réduction du tarif, même dans les circonstances actuelles, constitue une atteinte fort grave portée aux intérêts comme aux droits de notre première industrie. On évoque alors l’épouvantail du libre-échange; on dit que le cultivateur est sacrifié, ruiné. Cette opinion, habilement propagée, peut semer la crainte et la défiance dans les campagnes, et cela suffit pour qu’un gouvernement éprouve quelque hésitation avant de se décider à une mesure qui, mal interprétée, mal comprise, doit heurter de violens préjugés et rencontrer une opposition très vive. Il est donc juste de reconnaître que le décret du 14 septembre est un acte hardi, et, si l’on se place au point de vue des intérêts généraux, on ne saurait accorder trop d’éloges à la pensée qui l’a inspiré.

Afin d’apprécier exactement la portée du décret, il convient de rappeler en peu de mots le tarif chronologique des bestiaux à leur entrée en France. — On sait que la république et l’empire ne furent point avares de prohibitions. C’est de cette époque que date le régime prohibitif, appliqué, il est vrai, plutôt comme un instrument de guerre que comme un instrument de protection en faveur du travail national ; mais pendant que la législation de l’empire repoussait obstinément, en haine de l’industrie britannique, les produits des manufactures étrangères, les céréales et les bestiaux demeurèrent exempts de tous droits à l’importation. Peu de temps après la rentrée des Bourbons, la loi du 28 avril 1816 établit sur les bestiaux le tarif suivant :


Bœufs et taureaux 3 fr. »» c. par tête.
Bouvillons, vaches et génisses 1 —
Béliers, brebis, moutons et veaux 1 25 —
Agneaux 1 10 —

Ce tarif était modéré; il ne procédait d’ailleurs que d’une pensée fiscale. M. le comte de Saint-Cricq le déclara plus tard dans un rapport fait à la chambre des députés sur un projet de loi de douanes[1]. Il s’agissait, disait-il, d’accorder une allocation au trésor, sans aucune vue protectrice. En effet, pour alléger les charges financières qui pesaient sur elle, la restauration s’était vue contrainte à multiplier les taxes indirectes, et elle avait dû, par la loi fondamentale du 28 avril 1816, puiser à peu près indistinctement à toutes les sources de la matière imposable. Elle avait donc taxé les bestiaux, qui représentaient un article de grande consommation. Cependant elle n’était entrée dans cette voie que très timidement, et les exigences du fisc ne lui avaient point fait perdre de vue les besoins de l’alimentation populaire.

Pendant les années 1818, 1819 et 1820, les importations furent, en moyenne, de 16,000 bœufs, de 20,000 vaches et de 160,000 moutons. En 1820, elles s’élevaient à 27,000 bœufs, 20,000 vaches et 246,000 moutons. Cet accroissement rapide épouvanta les producteurs, qui jetèrent des cris de détresse, et le gouvernement, qui avait accordé une protection très énergique aux manufactures françaises, ne crut pas devoir refuser la même faveur aux intérêts de l’agriculture. Il proposa donc à la chambre des députés un projet de tarif qui

  1. Rapport déposé à la séance du 8 avril 1833.