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l’antiquité, c’est une vérité qui n’a pas besoin d’être démontrée; je reconnais, sans me faire prier, que Pierre Corneille, malgré la fierté des sentimens qui l’animaient, n’a pas toujours respecté le texte des historiens dont il a emprunté le secours. Si l’on compare les pages de Tite-Live à la tragédie d’Horace, l’infidélité est flagrante; le poète normand, qui occupe dans l’histoire de notre littérature un rang si élevé, a négligé tout le côté religieux du sujet qu’il avait choisi. C’est une erreur très grave, et qui ne peut être passée sous silence; mais si Pierre Corneille a omis les suffètes, qui auraient donné à sa tragédie un caractère plus majestueux et plus grave, il s’est du moins associé à l’austérité des mœurs romaines par l’analyse des sentimens, et, placé sur ce terrain, il ne craint pas de rival.

Les poètes tragiques de nos jours ont suivi une méthode bien différente. Résolus en toute sincérité à dépasser Corneille et Racine, ils ont étudié l’histoire pendant quelques matinées; une fois nantis de cette cargaison rapidement acquise, ils se sont mis à l’œuvre; enivrés par leur érudition de fraîche date, ils ont tenu à montrer tout ce qu’ils savaient, et je dois reconnaître qu’ils ont fait preuve d’une excellente mémoire. Par malheur ils sont tombés dans un piège facile à prévoir; pour me servir d’une expression toute scolastique, ils ont sacrifié l’éternel au contingent, c’est-à-dire, et je redescends à la langue vulgaire, qu’ils ont mis la vérité historique et locale au-dessus de la vérité humaine. La puérilité que je reprochais tout à l’heure à l’école dramatique de la restauration s’est retrouvée tout entière dans les œuvres tragiques de nos jours. Au lieu des anecdotes du moyen âge, nous avons eu les anecdotes de l’antiquité; au lieu des ogives et des bahuts, nous avons eu la toge et la prétexte; la date seule des personnages était changée, la puérilité demeurait la même. Je ne voudrais pas laisser croire que je ne comprends pas ce qu’il y avait de sincère et de sérieux dans cette tentative : c’était une réaction contre le travestissement de l’antiquité. L’intention était à coup sûr excellente, et je m’y associe de tout cœur; seulement cette intention n’a pas été menée à bonne fin, par une raison très simple : c’est que les novateurs se sont mis en route sachant où ils voulaient aller, n’oubliant qu’une chose, le chemin par lequel ils devaient passer. Ils ont voulu, et je les en remercie, rendre à l’antiquité la physionomie qui lui appartient; mais ils ont négligé une condition élémentaire, une condition qui domine toutes les œuvres de la pensée, — la nature humaine. Ils ont cru que le costume grec et romain suffisait pour constituer la vérité sous la forme tragique : la méprise est grossière, mais facile à concevoir, car ce n’est à tout prendre que la répétition de la méprise que nous avons constatée tout à l’heure en parlant du drame. Pour la juger, il suffit de rappeler les vers