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lade à force de se surexciter elle-même dans la contemplation solitaire de ces lugubres années.

Entre tous les écrivains de ce temps, M. Michelet avait autrefois un talent original et élevé. Il avait un fonds d’inspiration personnelle, sympathique et émue, qui s’alliait à une érudition savante, à un grand art d’interroger le passé et de le faire revivre. On n’a point oublié les pages attachantes et pittoresques de son Histoire de France où il donne une couleur si vive et si forte à la géographie de notre pays dans sa formation. Qui ne se souvient de l’épisode de Jeanne d’Arc ? Ce talent, nous ne voulons pas dire que M. Michelet ne l’a plus ; mais, — on peut le voir encore par ses derniers volumes de l’Histoire de la Révolution française, — il s’est livré au souffle de ces orages où les esprits médiocres se boursouflent et se guindent, où les esprits comme le sien contractent quelque chose de fébrile et de maladivement nerveux. Il erre comme une âme en peine dans ce dédale de luttes, de violences et d’immolations ; il va d’un événement à l’autre, d’un homme, d’un parti à l’autre, de Marat à Chalier de Lyon, de Danton à Robespierre, des girondins aux montagnards, des cordeliers aux jacobins, demandant partout qui lui donnera un gouvernement, cherchant partout la réalisation d’un idéal qui ne vient guère, on le comprend. La seule chose bien claire, c’est une sorte d’enthousiasme mystique de l’auteur pour l’idée même de la révolution, dont il fait une religion ; mais comme après tout il ne peut abdiquer un certain instinct élevé, il se trouve assez bizarrement partagé quelquefois entre son enthousiasme et une espèce d’ironie violente pour tous ces petits personnages qu’il décompose, qu’il dissèque et qu’il démasque sans trop de façons. En vérité, au milieu de toutes les formules d’admiration, on n’est pas plus sévère pour ce pauvre grand homme de Robespierre ; on ne saurait le railler d’un ton plus dégagé sur ses prétentions au pontificat, à la divinité : — « Un prêtre, une idole, un pape ! » dit ironiquement de lui M. Michelet. Il faut voir comme l’auteur peint ce pur, cet incorruptible jouant de son mieux à la bascule, ne demandant pas mieux que d’incliner vers la clémence et se réfugiant dans la terreur tout simplement pour se soutenir, attendant le moment de « serrer ces drôles » d’Hébert, Vincent et autres, et jusque-là se servant d’eux en tolérant leurs corruptions, ne sachant à quoi se résoudre, et en fin de compte emporté par un orage qu’il ne sait pas prévenir. Quant au tribunal révolutionnaire, s’il ne s’agissait d’une telle tragédie, les traits de l’historien ne seraient-ils pas amusans, lorsqu’il trace le profil de cet « excellent juré qui, étant idiot, à tout hasard tuait toujours, » et de cet autre, meilleur et plus solide encore, insensible à toute émotion, à tout incident, « véritable idéal du juré, — il était sourd ? » Après cela, M. Michelet a bien quelque droit de se demander avec scrupule s’il a conservé tout le respect possible pour ses héros. Tout se mêle un peu dans le livre de M. Michelet, et il est tel passage de son histoire où, dans un accès d’illuminisme, il en vient à être parfaitement convaincu que la fureur révolutionnaire supplée à toute sorte de capacités, et dispense de savoir les finances, la diplomatie ou la guerre. Il est vrai que l’auteur a également sa théorie sur les femmes, lesquelles, selon lui, embrouillent la politique par leurs passions, mais seraient beaucoup plus propres que les hommes à l’administration. M. Michelet place