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sivement rassises. Aux mouvemens de 1848 et 1849 une réaction immense a succédé. L’Italie, sauf le Piémont, est retombée sous le pouvoir absolu. Seule l’Ang-leterre a poursuivi durant ces années le cours victorieux de ses destinées, ajoutant chaque jour à sa fortune ; et tandis que s’opérait ce mouvement intérieur dans chaque pays, il naissait à l’horizon une question qui tient encore la politique extérieure en suspens : les projets de la Russie sur l’Orient se dessinaient non pas sous un jour nouveau, mais dans un sens plus décisif et plus menaçant. Étendons nos regards hors de l’Europe. Au-delà des mers, ce sont les États-Unis qui grandissent d’année en année ; c’est le Mexique qui se débat dans la plus effroyable anarchie, prêt à être envahi et dévoré ; c’est l’Amérique centrale qui est le théâtre des rivalités des Anglais et des Américains ; ce sont toutes les républiques de l’Amérique du Sud qui travaillent péniblement à s’organiser et à vivre : elles ne travaillent à s’organiser que depuis quarante ans ! Sur un autre point enfin, vers l’extrême Orient, en Chine et dans l’Inde, des révolutions s’accomplissent, des conquêtes se préparent ou se poursuivent. C’est cet ensemble si complexe et si varié de faits contemporains que l’Annuaire a l’ambition de reproduire. Nous ne voulons point toucher aux questions générales qui sont encore à résoudre, non plus qu’aux événemens de France, où il y aurait pourtant plus d’un détail curieux à recueillir sur la reconnaissance de l’empire par les gouvernemens étrangers ; mais il y a à côté plus d’un de ces incidens qui passent obscurément quand ils arrivent, parce qu’on n’en sait pas le secret, et qui trouvent ici leur explication.

Transportons-nous à Naples, et souvenons-nous de deux incidens dont l’un a fait quelque bruit à son heure, et dont l’autre est passé presque inaperçu : nous voulons parler des Lettres de M. Gladstone sur l’état napolitain et de la retraite du président du conseil, le marquis Fortunato, qui suivit quelque temps après. Quel rapport pouvait-il y avoir entre ces deux incidens ? C’était là un point assez peu éclairci, peut-être peu important, mais qui dévoile un fait singulier, — le rôle de la crainte là où il n’y a qu’un maitre faisant tout, réglant tout, quelque honnête que soit ce maître d’ailleurs. Or tel est l’état du royaume de Naples, où la puissance la plus absolue n’a de correctif que la conscience du monarque. Avant de publier ses Lettres, M. Gladstone avait fait savoir, par l’organe de lord Aberdeen, au gouvernement de Naples qu’il ne les mettrait pas au jour, s’il était tenu compte des faits qu’elles révélaient, et si la liberté était rendue au jeune Poerio, impliqué dans le procès de l’Unité italienne. Cet avis, le prince Castelcicala, ministre napolitain à Londres, le transmettait à son ministre des affaires étrangères, le marquis Fortunato ; mais celui-ci craignit de blesser les susceptibilités du roi en lui communiquant les conditions de M. Gladstone : il ne fit rien, et les Lettres parurent. Peu après, au milieu des polémiques soulevées à ce sujet à Londres, le prince Castelcicala recevait une assez verte semonce de lord Palmerston, et était rappelé par son gouvernement. Admis à l’audience royale, le prince Castelcicala avait à essuyer de vifs reproches de ce qu’il n’avait pas su prévenir la publication du pamphlet de M. Gladstone, ou du moins la connaître d’avance. Pour toute réponse, le prince n’avait qu’à produire la dépêche qui transmettait l’avis de lord Aberdeen ; mais alors la colère royale retombait sur le marquis Fortunato, qui ne pouvait alléguer que la crainte où il avait