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de M..., m’inquiète un peu. Si le dialogue à coups de fusil s’établissait entre mon voisin et les brigands par la portière auprès de laquelle je suis placé, je me trouverais dans une situation intermédiaire assez fâcheuse. Je songe d’abord à me blottir, le cas échéant, au fond de la voiture, pour laisser passer l’orage sur ma tête; mais les jambes de mon vis-à-vis ont des proportions colossales, et cette retraite m’est fermée. Le mieux est donc de ne pas me troubler des futurs contingens, et de penser à autre chose. Heureusement j’ai en poche une dissertation espagnole sur la langue othomi. Je suis bientôt plongé dans l’étude des curieux rapprochemens que l’auteur établit entre cette langue et la langue chinoise; j’appelle à mon aide pour les compléter ce que j’ai su de chinois jadis, et j’arrive à Puebla sans encombre vers trois heures de l’après-midi, ayant échappé non-seulement aux voleurs, mais à la pensée des voleurs, grâce à l’othomi, recette que je recommande tout particulièrement à ceux qui se trouveraient dans la même situation.

En arrivant à Puebla, tous les voyageurs se précipitent à la fois dans le bureau du télégraphe électrique pour faire savoir à leurs parens et à leurs amis qu’ils n’ont point été arrêtés. Ainsi un moyen de communication dont l’idée se lie naturellement avec celui d’une civilisation perfectionnée a ici un emploi qui tient à un état de civilisation fort imparfaite. Les brigands en permanence srt la grande route et le télégraphe électrique servant à donner de leurs nouvelles, voilà un contraste qui peint bien ce qu’on pourrait appeler la barbarie avancée de la société mexicaine.


Puebla de los Angeles.

Nous avons dîné chez des amis du docteur, qui sont des Français établis dans cette ville. Le dîner a été très gai; je dois dire que des anecdotes sur les exploits de l’armée mexicaine ont fait une grande partie des frais de cette gaieté. On ne se serait point douté, à les entendre, que le dieu de la guerre (Mexitli) a donné son nom à la ville de Mexico et par suite au peuple mexicain. Je ne garantis point l’authenticité de ces anecdotes où il entre peut-être quelque exagération; en tout cas, elles n’ôtent rien à la valeur de ceux qui en ont montré. Mes convives connaissaient aussi l’héroïsme des jeunes défenseurs de Chapoultépec et la mort glorieuse du tailleur Banderas, à laquelle j’aime à rendre une seconde fois l’hommage qui lui est dû. Il ne faut jamais se hâter de juger légèrement un peuple et de lui refuser surtout la possibilité du courage, cette qualité si commune aux hommes; quand ils n’en montrent point, la faute en est souvent à ceux qui les gouvernent ou les conduisent. Il y a eu des soldats napolitains qui s’enfuyaient en disant aux officiers qui voulaient les retenir : Ma c’è