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rapprochèrent assez pour que mon père les remarquât. Comme mes extases ressemblaient complètement au sommeil, mes parens s’en inquiétèrent peu d’abord; mais la fréquence croissante des accès finit par les alarmer sérieusement. Ma mère retrouvait dans sa mémoire mille exemples de maladies semblables qui toutes avaient été produites, disait-elle, par des maléfices ou par l’influence du mauvais œil. Je sentais un changement douloureux s’opérer en moi-même. Mes nuits, bien que les crises m’épargnassent à ce moment, n’en étaient que plus cruelles. D’effrayantes hallucinations les troublaient sans cesse. Ma mère venait parfois s’asseoir au chevet de mon lit; elle passait sa main sur mon front brûlant, sur mes cheveux humides. Je croyais revivre sous cette main caressante : — Allons, lui disais-je alors, chante-moi la chanson dont tu berçais mon enfance. — Et aux accens doux et monotones de cette voix amie, un sommeil bienfaisant descendait sur mes paupières brûlées par l’insomnie. C’étaient là mes seuls instans de trêve. Pendant le jour, j’étais en proie à une sorte de morne indifférence. Les exhortations, les consolations de mon père avaient même perdu pour moi tout prestige, et m’étaient presque devenues importunes. — C’est plus fort que moi, — lui disais-je, et je m’en allais rêver à l’écart. C’est qu’aussi, pour résister à cette maladie sans nom, il fallait une énergie, une persistance que je n’avais pas encore. Le malheur pouvait seul me l’inspirer.

Maîtresse, c’était une effroyable lutte pour une simple fille. J’ai vu des oiseaux du ciel tomber morts frappés par le froid rigoureux de l’hiver, j’ai vu des arbres déracinés par la violence des vents. Ni le froid rigoureux de l’hiver, ni la violence des vents, rien n’était comparable au mal qui me dévorait. Sans un miracle, j’aurais succombé comme les oiseaux du ciel et l’arbre de la forêt. Ces alternatives d’extase et d’insomnie, de visions et de veillées fiévreuses, comment en décrire les angoisses et les terreurs ? Et pourtant cet état singulier avait son charme; mes visions étaient toujours dominées par une influence céleste. C’était le Christ qui m’apparaissait tour à tour dans les phases de son existence terrestre et dans les attributs de sa majesté divine. La chose la plus singulière, c’est qu’en arrivant plus tard à Jérusalem, je reconnus les lieux où je passais comme s’ils m’étaient familiers. Déjà je les avais contemplés dans mes rêves. Toute cette nature, si différente de celle où j’étais née, n’avait pour moi plus de surprises. Mais à quoi bon insister sur des sensations indescriptibles! Autour de moi, je te l’ai dit, on me croyait ensorcelée. Mon père attribuait mes souffrances à une maladie du cerveau, ma mère à l’influence d’une bohémienne, et moi, je m’affaiblissais de plus en plus sous l’action d’une force invisible, lorsqu’une circonstance