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bonnes et mauvaises est un fait normal. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le tableau des récoltes depuis le commencement du siècle, pour constater que les résultats ont été très inégaux, malgré l’extension régulière des surfaces cultivées[1]. Nous ne savons pas s’il existe d’autres genres de travaux agricoles présentant des variations plus brusques et plus tranchées. L’Amérique ne s’en plaint pas : c’est qu’elle n’en souffre guère. Maîtresse des marchés, elle y dicte les prix, et retire ordinairement plus d’argent d’une mauvaise récolte que d’une bonne. Les 465 millions de kilogrammes qu’elle expédie en 1849 ne lui rapportent que 352 millions de francs, tandis que 286 millions seulement expédiés l’année suivante sont vendus 30 millions de plus. La différence est une perte à la charge de l’Europe. Le manufacturier, qui ne peut chômer sous peine de ruine, subit la loi du planteur.

Ce ne sont pas seulement les intempéries et les insectes qui menacent dans son essor la plus grande des industries européennes. Divers incidens qu’il est permis de prévoir, une guerre maritime, une révolte d’esclaves, peuvent suspendre la production ou le commerce des cotons. Le principal motif d’inquiétude, nous l’avons déjà dit, c’est la quantité toujours croissante de matières premières que dévorent les fabriques américaines. Si l’on ne considérait que la valeur des marchandises produites, ce genre de concurrence ne serait pas fort dangereux pour l’Europe. A de rares exceptions près, les États-Unis ne confectionnent encore que des tissus grossiers : la preuve est qu’ils emploient presque le double des matières premières consommées en France, avec un nombre de broches beaucoup moindre. Malgré les sacrifices qu’ils font pour la main-d’œuvre, le prix de revient à Lowell varie entre 4 et 6 1/2 cents le yard (soit 21 centimes

  1. Qu’on en juge par l’analyse du tableau des récoltes américaines depuis quinze ans seulement. — De 1838 à 1839, le produit faiblit de 314 millions de kilogrammes à 232, soit 26 pour 100 : les prix moyens s’élèvent de 44 pour 100. — On monte en 1840 à 388 millions, pour redescendre l’année suivante à 251 : différence en moins dans les quantités disponibles de 35 pour 100, élévation dans les prix moyens d’environ 20 pour 100. — A partir de 1843, succession de bonnes récoltes ; on atteint en 1845 le chiffre de 457 millions, les prix tombent au plus bas; mais l’année 1846 est très mauvaise, l’année suivante pire encore : on ne recueille plus que 321 millions de kilogr.; la différence est de 39 pour 100. Le prix moyen du kilogr, qui était de 67 centimes sur les marchés américains, passe à 1 fr. 21 cent, en 1847. — L’année 1849 est phénoménale : elle donne 549 millions de kilos, le prix redevient très doux; mais l’année qui suit présente une réduction d’un tiers, malgré le contingent des nouvelles plantations du Texas, de sorte qu’une hausse de 76 pour 100 se déclare. — Enfin les trois dernières années sont favorisées par une succession de bonnes récoltes : néanmoins les prix se soutiennent, comme nous l’avons déjà vu, en raison de la rapide extension de l’industrie cotonnière. Après une série d’années abondantes, une série de récoltes au-dessous de la moyenne est dans les probabilités.