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marchandera pas l’espace à des entreprises d’utilité nationale. Quant à la puissance de l’outillage, c’est une affaire de capital. Les ingénieurs européens ne resteront certainement pas au-dessous des ingénieurs d’Amérique.

Le doute ne peut exister qu’à l’égard de la population ouvrière : là est la vraie difficulté; mais au moins n’est-elle plus insurmontable depuis qu’il est devenu possible, grâce aux progrès de notre domination, d’associer largement les indigènes au travail européen. De courtes explications à ce sujet sont nécessaires.

Les personnes qui ne connaissent l’Algérie que par les bulletins militaires s’imaginent une population belliqueuse, farouche, indisciplinable. Cela peut être vrai pour certaines catégories d’habitans; mais, dans tous les pays du monde, les hommes sont divisés par le rang, les intérêts, les préjugés, et la population indigène de l’Algérie est une des plus hétérogènes qui existent. Il y a là des tribus nomades et des tribus sédentaires, des tribus qui s’administrent librement et des tribus administrées par l’état, des tribus religieuses et des tribus laïques, des tribus nobles et des tribus serves, et au sein de chaque tribu, quelle que soit son essence, un groupe dominateur et une multitude fort mal menée, fort misérable. Entre de tels élémens, la cohésion est assez faible. La classe supérieure peut voir avec dépit son influence primée par une domination étrangère; mais pour la foule obscure, la grosse affaire, c’est de ne pas mourir de faim. Les gens de cette dernière classe cherchent à vivre en qualité de khammas, c’est-à-dire de travailleurs au cinquième, toujours disposés à accepter pour leur rémunération la cinquième partie de la valeur qu’ils ont produite.

L’idée de se servir des élémens qui existent, de greffer l’industrie européenne sur les habitudes du pays, est en effet la plus rationnelle. Nous lisons dans l’avant-dernier Tableau des établissemens algériens, publié par le gouvernement : « Ce qu’il est important de noter ici, c’est le mouvement remarquable qui pousse actuellement vers les exploitations rurales européennes une partie de cette population qui se déplace avec nous et avec nos travaux. Les fermes de nos colons, dans les plaines du littoral, emploient déjà comme métayers, jardiniers, moissonneurs, faucheurs, pasteurs, etc., etc., une quantité de journaliers kabyles, qui s’accroît chaque jour, au grand profit de la colonisation et de tous les intérêts algériens. » Cette citation se rapporte à l’année 1849. Depuis cette époque, les travaux agricoles sont en progression, grâce surtout aux auxiliaires indigènes, qu’on s’accoutume à utiliser. L’égrenage du coton récolté à la pépinière d’essai d’Alger coûtait fort cher. On vient de faire construire un appareil à égrener, mû par une machine à vapeur. Cet appareil,