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desservi par un chauffeur européen, occupe vingt enfans indigènes de douze à quatorze ans, à qui on donne 60 centimes par jour.

Supposez une compagnie à large capital, assez intelligente pour être généreuse avec les indigènes, et la main-d’œuvre ne lui fera pas défaut. Dans les habitudes du pays, le travailleur au cinquième reçoit par avance une certaine mesure de grains, afin qu’il puisse vivre en attendant sa part dans la récolte. C’est tout ce qu’on lui donne. La compagnie ne s’en tiendra pas là, car il est de son intérêt que le khammas trouve, en s’attachant à elle, une amélioration dans son sort. Un cinquième dans le nouveau travail auquel on espère l’appliquer lui rapportera beaucoup plus que son contingent dans la culture du blé, son travail ordinaire, dont il retire au plus la valeur de 20 hectolitres à 12 francs. Au lieu d’un pain grossier et peu nourrissant, on lui procurera une ration vraiment substantielle. Ceux qui l’emploient actuellement le laissent sinon tout nu, du moins couvert de guenilles, qu’on se transmet de père en fils : une compagnie pourra donner chaque année un haïk pour l’homme et quelques vêtemens pour la femme et les enfans. Le khammas n’a pour abri qu’un gourbi, c’est-à-dire une espèce de hutte qu’il fait, à la manière des sauvages, avec les matériaux qui lui tombent sous la main. Il en coûtera peu de faire bâtir pour lui une espèce de petite chaumière en pisé, avec un jardinet au moyen duquel il pourra améliorer son alimentation. Il périt sans secours, quand il est malade; on assurera les soins médicaux à lui et aux siens. Enfin dans ses relations ordinaires, soit avec les Européens, soit avec ses compatriotes, il est méprisé, parfois volé, souvent battu, parce qu’on ne cherche pas à se l’attacher. Au contraire, la compagnie aura intérêt à le traiter autant que possible avec justice et douceur.

Mais ce régime ne conduira-t-il pas à des dépenses écrasantes pour l’entreprise? Nullement. Dans les sociétés avancées où les moindres coins de terre sont utilisés de manière à produire des rentes considérables, la nourriture et le logement, ces deux grandes nécessités de l’existence, sont à des prix tels que l’ouvrier est parfois nécessiteux avec un salaire assez fort nominalement. Il en est autrement dans un monde nouveau comme l’Amérique ou notre Algérie. Là les grands planteurs, ayant beaucoup plus de terre qu’ils n’en utilisent, peuvent sans s’obérer procurer à leurs ouvriers un bien-être réel. Par exemple, en entrant dans les détails d’une exploitation de ce genre, on entrevoit que le pain, le logement et le jardin, auxquels l’indigène errant et affamé attacherait un grand prix, ne surchargeraient pas beaucoup le budget d’une entreprise africaine.

On a déjà compris que nous ne sommes pas tout à fait dans le domaine des conjectures, et que nous puisons le programme qui