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d’être onéreuse aux colons, entraînerait à peine un changement dans leurs habitudes. Les planteurs d’outre-mer n’expédient pas eux-mêmes leurs cotons sur les marchés lointains. Entre eux et le consommateur, il y a nécessairement des intermédiaires qui viennent traiter à domicile de l’achat des récoltes. Chez nous, en attendant que la production algérienne soit assez considérable pour donner lieu à une pareille spéculation, c’est l’état qui fait l’office du courtier[1]. Eh bien! dans la combinaison dont il s’agit, les planteurs, au lieu de vendre à l’état, vendraient à la compagnie privilégiée, sous la surveillance tutélaire du gouvernement, qui, à coup sûr, ne livrerait pas les colons algériens à une exploitation abusive.

Sans nous prononcer actuellement sur cette combinaison, nous avons cru devoir constater comme un symptôme favorable l’importance qu’attache l’industrie cotonnière de la métropole au succès de la colonisation africaine, et la féliciter de l’initiative prise à ce sujet par les hommes qui la représentent le mieux. Étrange et honorable destinée de cette industrie ! Si on prenait la peine de compiler le répertoire des lois et règlemens antérieurs à la rénovation de 1789, on n’y trouverait pas moins de trente-six ordonnances pour prohiber en France le commerce et l’usage des étoffes de coton. Provenant d’une plante exotique, disait-on, les cotonnades devaient ruiner à la fois l’agriculture nationale et les fabriques de draperies. Ne nous moquons point : chaque siècle a des sages de cette force, et Dieu sait ce qu’on pensera dans cent ans de beaucoup d’axiomes ayant cours aujourd’hui. Quant aux idées de nos pères sur le coton, jamais erreur économique n’a reçu un démenti plus prompt et plus éclatant. Le développement qu’a pris l’industrie cotonnière depuis le peu de temps qu’elle est autorisée chez nous est la meilleure preuve de son utilité. Elle tient le premier rang dans le travail manufacturier par l’importance du capital qu’elle a engagé et par le nombre des ouvriers qu’elle occupe. Elle a contribué notablement à la diffusion du bien-être en abaissant le coût de la plupart des vêtemens; elle a transformé une classe nombreuse de femmes en lui permettant une sorte d’élégance à peu de frais. Les autres fabriques de tissus lui doivent la plupart de leurs progrès mécaniques et chimiques, et loin de nuire à l’agriculture, elle l’a enrichie en suscitant une population nouvelle de consommateurs. Qui sait si elle n’est pas appelée à présent à consacrer la conquête de l’Algérie, en rendant enfin profitable cette acquisition si longtemps onéreuse?


ANDRE COCHUT.

  1. Avec cette différence qu’il paie actuellement les marchandises presque le double de leur valeur commerciale; mais il est évident que cette libéralité ne peut pas se perpétuer.