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redoutable. Tant que la question dynastique reste incertaine, la révolution est comme une troisième puissance malfaisante qui profite de tout; elle sème le sol de ruines et d’incendies, elle ébranle tout ce qu’elle touche, elle humilie la royauté dont elle est le périlleux appui. La question dynastique une fois vidée, la révolution retombe épuisée; son drapeau se replie sur lui-même; sa dernière victoire est la régence d’Espartero. Après cet effort et sous le coup même de cet effort, le sentiment monarchique se redresse, modifié par les circonstances sans doute, tempéré et imprégné d’influences nouvelles, mais toujours vivace et puissant. Depuis 1843, chaque crise tend à replacer de plus en plus la royauté sur ses bases, à lui rendre quelque prérogative, à rajeunir son prestige. L’élément conservateur reprend le dessus, la constitution est réformée dans un sens monarchique, l’esprit révolutionnaire est successivement chassé des lois comme de la rue. — Telle est la réaction qui dure encore après un règne ininterrompu de dix années.

Ceci est en quelque sorte la trame de l’histoire moderne de l’Espagne. Chacune de ses phases a eu ses personnifications, ses popularités, ses courans d’idées, ses écrivains. Un des hommes dont la vie et les œuvres reflètent le mieux peut-être, au point de vue intellectuel, l’ère d’apaisement qui a suivi la dernière époque révolutionnaire en Espagne, c’est un publiciste des plus éminens, mort aujourd’hui, — don Jaime Balmès. Nullement homme d’état de profession, pas même député, étranger par position à la politique active, Balmès a été néanmoins, à beaucoup d’égards, l’âme, la pensée de ce mouvement de réaction, semant bien des idées qu’on n’accueillait pas d’abord et qui ont fructifié, exerçant une influence plus réelle qu’avouée. Le premier il a mis en cause la révolution espagnole dans son esprit, dans ses tendances, dans ses résultats; le rapport de cette révolution avec l’ordre général des événemens contemporains, il l’a défini; les révolutions européennes elles-mêmes, il les a pressenties; il en a d’avance signalé le vide en pénétrant les plus secrets mystères du monde moral. Pour se poser ainsi presque seul au milieu des partis, auxiliaire de toutes les réparations, critique des faiblesses des hommes et des opinions, sévère parfois comme il arrive à ceux qui pensent sans agir, philosophe du monde moderne, Balmès ne puisait-il pas une sorte d’originalité particulière dans son caractère ? Il était prêtre, il mettait même une sorte d’orgueil à faire suivre son nom de ce simple titre, presbitero, et c’était par lui, chose remarquable, que se retrouvait pour la première fois dans le mouvement des luttes intellectuelles au-delà des Pyrénées cette autorité de l’église, restée si puissante dans les mœurs, dans la vie familière du peuple, mais qui semblait n’avoir plus de force pour se relever à la hauteur de ce genre d’influence.