Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

admiratif, il est en revanche fort sceptique, trouve les populations orientales stupides, et n’a point honte de le dire. La danse et la musique si vantées des Orientaux le divertissent peu; il trouve la danse folle et la musique monotone et barbare. Il ne partage pas l’admiration de ses prédécesseurs anglais pour les drogmans; selon lui, ils sont tous fourbes, menteurs et voleurs. La cuisine n’est point de son goût. C’est folie, selon lui, que d’espérer la résurrection des races asiatiques : si elles doivent jamais sortir de leur torpeur, dit-il, ce sera sous le costume européen, en chapeau rond et en grosses bottes, non en babouches et en turbans, il souffle sur les souvenirs des Mille et une Nuits, qui l’obsédaient en arrivant, et ne laisse au lecteur presque aucune illusion : les couchers du soleil sont beaux, le désert est immense, l’architecture égyptienne est colossale, et les pyramides valent leur réputation. Contentons-nous du paysage oriental, et renonçons à nos illusions sur l’humanité orientale.

Parmi les productions les plus récentes de l’Amérique, nous trouvons un petit drame fort singulier intitulé Calmstorm le Réformateur, commentaire dramatique. L’auteur anonyme de ce pamphlet insinue contre son pays une accusation qui nous a toujours paru assez fondée : il insinue que la tyrannie, pour n’y être pas ostensible et matérielle, pour n’y être pas personnifiée dans un homme ou une institution, n’existe pas moins en Amérique que dans les monarchies les plus tyranniques dont l’histoire fasse mention; l’arbitraire, l’injustice, la malice, s’y exercent tout autant que dans les autres pays du monde, et y ont revêtu une, forme infiniment plus terrible, l’opinion publique. Malheur à celui qui s’avisera de contredire les préjugés des masses, qui se permettra d’attaquer leurs injustes intérêts, qui essaiera de faire prédominer sa raison sur celle d’une foule ignorante, passionnée et égoïste ! Tous les atomes humains qui forment les foules vont se réunir contre lui pour l’écraser, le calomnier, le noircir; la justice ne le défendra pas, les politiques qui le redoutent le livreront eux-mêmes, la presse le calomniera. Ce petit opuscule, qui soulève encore beaucoup d’autres questions et sur lequel nous reviendrons prochainement, pourrait être invoqué comme une preuve du danger de la liberté illimitée et de la nécessité d’un contrôle supérieur à celui des multitudes. Pour nous, qui ne croyons pas à l’infaillibilité des foules, qui croyons que la démocratie n’est pas le dernier mot du progrès humain, qui ne croyons pas la démocratie une forme de gouvernement supérieure à toutes les autres, qui pensons que l’individu ne doit pas plus être abandonné à la merci des foules que les foules à la merci des individus, nous avons lu ce petit plaidoyer avec plaisir, et pour ainsi dire avec un sentiment de reconnaissance pour l’auteur anonyme qui l’a écrit.

De ce petit drame aux TAnglewood Tales de M. Hawthorne, il y a loin. M. Hawthorne a occupé ses récens loisirs à mettre en contes les fables de la mythologie grecque, comme Charles Lamb avait mis en contes les tragédies de Shakspeare. Rien n’est bizarre comme de voir les fables qui ont jadis enseigné la sagesse à l’humanité dans sa fleur sous la forme de contes propres à amuser les enfans de l’humanité dans son âge mûr. Hélas ! ces fables ne sont plus que des fables, toute la sagesse qu’elles contenaient s’est depuis longtemps dissipée, comme l’odeur du parfum d’un vase depuis