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des races de cavaliers indépendans, établir des institutions durables, créer enfin et organiser une nation, telle a été l’œuvre de Shamyl. Par sa doctrine religieuse, il a concilié les sectes d’Omar et d’Ali; par ses victoires, il a ébloui les montagnards des différentes races et dompté l’orgueil de leurs princes. Les tribus une fois associées à la même guerre religieuse, il les a réunies sous une même loi civile; les anciennes divisions de territoire ont disparu. Le pays que possède Shamyl est réparti en vingt provinces, et chacune de ces provinces est administrée par un gouverneur ou naïb. Ces naïbs n’ont pas tous un égal pouvoir : il en est quatre seulement, les amis les plus dévoués du prophète, qui ont un droit de souveraineté sur leurs sujets; les autres sont tenus de soumettre leurs décisions au contrôle du chef suprême. L’organisation de l’année, chef-d’œuvre de précision ingénieuse, est admirablement combinée pour entretenir à la fois l’unité de la discipline et l’ardeur militaire. Chaque naïb fournit trois cents cavaliers à l’état, et voici de quelle manière le recrutement est réglé : il faut un cavalier pour dix familles; or la famille à laquelle appartient le soldat est dispensée de toute contribution tant que le soldat est vivant; l’équipement et l’entretien sont à la charge des neuf autres. Ces cavaliers doivent être toujours armés, toujours équipés, même la nuit, et prêts à monter en selle au premier signal. En 1843, la cavalerie de Shamyl s’élevait à cinq mille hommes.

Telle est l’armée permanente du Daghestan; mais à côté de celle-là il y a la milice, composée de la population ordinaire. Tous les habitans des aouls, de quinze ans à cinquante, s’exercent sans relâche à monter à cheval et à manier les armes; ils sont organisés pour défendre leurs villages en cas d’attaque, et au besoin pour suivre le prophète dans les expéditions lointaines. Chacun des cavaliers de la troupe régulière est le chef des dix familles qu’il représente. La garde particulière de Shamyl est de mille hommes; chacun d’eux reçoit trois florins par mois et une part déterminée dans tout ce qui est pris sur l’ennemi. Tous les aouls du Daghestan se disputent l’honneur de fournir quelques soldats à ce corps d’élite. Shamyl, qui sait le prestige du faste sur les imaginations orientales, ne quitte jamais sa demeure sans une escorte de cinq cents cavaliers. Le revenu de Shamyl n’était d’abord que le butin, dont le cinquième, d’après l’usage antique, appartenait au chef, et le reste était partagé entre les soldats. Depuis, des impôts ont été établis; la dîme de la récolte grossit tous les ans le trésor public. Les terres données autrefois aux mosquées pour le seul avantage des prêtres et des derviches ont été attribuées à l’état; les prêtres reçoivent en échange un traitement régulier. Quant aux derviches, ceux qui pouvaient porter les armes ont été incorporés dans la milice; les autres ont été chassés