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possession. Il y eut des registres ouverts pour les mutations, registres difficiles à tenir d’ailleurs, car cette première génération de colons se composait surtout de chercheurs d’aventures plus nomades encore que les Arabes. Rien ne les pouvait fixer, pas même ce droit de propriété par lequel ou avait espéré les allécher. Que leur importait une propriété nue, qui ne leur avait rien coûté à acquérir, et qui leur aurait coûté beaucoup de temps et de peine à convertir en chose utile à son maître ? C’était pour eux comme un pis-aller dont ils se croyaient assez sûrs de pouvoir toujours retrouver l’équivalent quelque part. La mort ou l’épouvante achevait d’ailleurs d’enlever ou de disperser ceux qui auraient eu des intentions plus casanières. En sept ou huit ans, le personnel des concessions a été renouvelé au moins trois ou quatre fois. Quelques-uns de ceux que la terreur avait chassés au temps des grandes mortalités ont reparu plus tard, et ont pu redevenir concessionnaires à titre nouveau.

Les magnifiques plantations qui entourent ou sillonnent Boufarik datent de l’établissement du commissariat civil; elles ont coûté cher, ainsi que les premiers travaux de défrichement ou de dessèchement. C’est alors qu’on a vu les populations, déjà maladives, fondre et disparaître comme les neiges de l’Atlas au soleil de juin. Chaque année, la mort emportait plus de victimes qu’elle ne laissait de survivans. En 1843, les choses en vinrent à cet excès que, sur 1,100 âmes de population fixe ou flottante, 800 succombèrent. La population flottante se composait d’ouvriers à gages employés aux travaux de construction, de culture ou de dessèchement. On remarqua que le fléau sévit surtout contre cette classe, et on l’attribua soit à des habitudes de vie moins réglée, soit à l’usage assez général de coucher en plein air, à ciel ouvert ou sous un simple écran de roseaux étalés sur quelques bâtons. Boufarik devint la terreur de ceux qui avaient seulement à le traverser. On n’y passait que le cœur serré, comme sur un champ de carnage. Le camp fut évacué, et l’on ne prononçait plus le nom de ce lieu sinistre que pour y ajouter l’idée de nécropole. Des couches nouvelles de colons survenaient néanmoins pour remplacer les couches enfouies, et grâce à leur constance, ce lieu maudit est aujourd’hui un délicieux jardin. Les plantations multipliées à profusion, les canaux et rigoles de dessèchement, les cultures continuées pendant plusieurs années, ont fait évanouir toutes les causes d’insalubrité, et la mortalité n’y est pas plus grande désormais qu’en France.

Le territoire de Boufarik est trop resserré pour sa population. Chaque concession avait été divisée en trois lots, dont un de ville et deux de campagne, ces derniers de quatre hectares chacun. Il y a 292 lots de ville, et le reste du territoire n’a pu fournir qu’à 160 concessions de huit hectares chacune, en deux lots séparés. Quelques colons à peine ont reçu les deux lots de terre qu’on leur avait promis. La plupart n’en ont qu’un, un plus grand nombre encore n’a que le lot de ville, et pourtant, parmi ces derniers, beaucoup étaient des agriculteurs, non des ouvriers d’art ou des commerçans, et ils n’ont dépensé leurs ressources à bâtir sur leur lot de ville que dans l’attente des terres qu’on s’était engagé à leur livrer. Il eût été facile d’arrondir le territoire de Boufarik et de satisfaire aux engagemens pris en distribuant aux colons la terre de Sidi-Abed, qui aujourd’hui a reçu une autre destination. On ne saurait blâmer le gouvernement de la sollicitude qu’il a montrée pour