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représentans détenus, vingt-trois membres de la convention étaient encore hors la loi, les uns, comme Isnard et Louvet, appartenant à la gironde elle-même, les autres en dehors du parti, mais entraînés dans sa chute, comme Lanjuinais, Defermon, Pontécoulant. La justice qu’on venait de rendre aux soixante-treize, pouvait-on la refuser aux vingt-trois ? Leur cause était la même ; seulement, pour aller jusqu’à eux, il fallait franchir un fossé plus large et plus profond, il fallait que la convention réhabilitât les girondins eux-mêmes dans leurs personnes et confessât que Vergniaud, Brissot, Barbaroux, avaient été assassinés par elle. La première fois qu’on lui parla de ces vingt-trois proscrits, l’orage fut violent, le tumulte épouvantable : leurs amis ne purent obtenir qu’une amnistie qui mettait à l’abri leurs têtes sans leur restituer leurs droits ; mais peu à peu, la presse et l’opinion revenant chaque jour à la charge, l’assemblée se résigna, et, vers les premiers jours de mars, le décret de rappel fut voté. Presque aussitôt, comme conséquence nécessaire, il fallut qu’un autre décret supprimât la célébration anniversaire du 31 mai. Les mots reprenaient leur signification. On qualifia officiellement de jour néfaste cet attentat contre la liberté de la convention et de la France.

Ne semblerait-il pas qu’arrivé à ce point, le mouvement rétrograde dût continuer sa marche et aller en s’accélérant ? L’assemblée venait de franchir deux années en arrière, elle avait reculé jusqu’au-delà du 31 mai, pourquoi ne pas remonter plus haut ? C’est là qu’est la péripétie de ce grand drame. Pour continuer à remonter le cours des temps, il eût fallu n’avoir pas derrière soi un obstacle, une digue insurmontable. La convention pouvait redevenir girondine, elle ne pouvait pas se faire royaliste ; il dépendait d’elle de fermer les plaies qu’elle s’était faites à elle-même, de relever les partis qu’elle avait abattus : elle ne pouvait pas ressusciter le roi. Les auteurs du 21 janvier avaient bien su ce qu’ils faisaient. Ils s’étaient coupé la retraite à eux et à la France ; ils s’étaient interdit la possibilité de revenir à la monarchie par une pente douce, et avaient placé entre elle et eux un précipice où le pays ne voulait à aucun prix tomber, la contre-révolution. Aussi ne croyez pas que ces soixante-treize et ces vingt-trois, rentrés dans l’assemblée après tant de luttes et d’efforts, lui apportent un esprit nouveau ; ne croyez pas qu’ils tempèrent son ardeur républicaine, ses tendances révolutionnaires. Pas le moins du monde. Ces modérés sont pour la plupart régicides, et ceux qui ne le sont pas, ceux même qui tout bas se félicitent de ne pas l’être, sont voués corps et âme à la révolution. De ce que les thermidoriens redeviennent bientôt montagnards et presque terroristes, il n’en faut pas conclure que la droite soit presque royaliste : elle n’est que