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girondine. La réaction ne peut aller loin dans l’intérieur de l’assemblée : elle a pour limite extrême les opinions, les sentimens girondins.

Il n’en est pas de même au dehors. Là les têtes s’échauffent, la terreur a semé des haines implacables. Dans certaines provinces, le mouvement réparateur devient sanguinaire et ne fait souvent que reproduire, avec d’odieux raffinemens, les crimes qu’il prétend punir. Ces actes de vengeance et de férocité sont l’œuvre d’une populace contre-révolutionnaire, digne sœur de la populace jacobine. Loin de servir la cause de la réaction, loin de la propager en France, ils contribuent plutôt à en arrêter les progrès. Paris, contre toute attente, échappe à ces excès : il en est quitte pour quelque turbulence. Sans l’incorrigible fureur des jacobins, qui deux fois, en germinal et en prairial, se ruent sur la convention et tentent de reconquérir le pouvoir à force ouverte, le sang n’eût peut-être pas coulé. La réaction parisienne était vive, mais pacifique; elle expulsait Marat du Panthéon, brisait çà et là ses bustes, les jetait quelquefois aux égouts, puis tous les soirs chantait à pleins poumons le Réveil du Peuple, et s’amusait à poursuivre de huées, comme de méchans masques, les bonnets rouges obstinés. Ces désordres regrettables n’affligeaient que les montagnards : ils plaisaient à la masse du public, devenu peu sympathique aux révolutionnaires; mais comme ce même public était en même temps cordialement attaché à la révolution, toutes les fois qu’à ces démonstrations anti-terroristes il voyait se mêler une apparence, un soupçon de royalisme, aussitôt les rangs s’éclaircissaient, les esprits se divisaient, et dans la rue aussi bien que dans l’assemblée les révolutionnaires de toutes les dates et de toutes les nuances faisaient cause commune pour tenir tête à l’ennemi commun.

Si la résurrection de la royauté eût été à cette époque une combinaison moyenne, un parti de transaction, assurant à la fois les avantages de la révolution et les sécurités de la monarchie, la France n’eût pas mieux demandé que de s’y rattacher, et bientôt, en dépit de la convention, elle eût fait bon marché de la république; mais grâce au régicide d’un côté, grâce à l’émigration de l’autre, le rétablissement de la monarchie était devenu un parti extrême, un de ces partis qu’un peuple pris en masse n’embrasse jamais spontanément. Le royalisme tempéré n’existait plus qu’en rêve dans quelques cerveaux de penseurs et de théoriciens; le seul royalisme possible était celui de l’émigration, c’est-à-dire la contre-révolution avec ses vengeances, ses représailles et tout un cortège de calamités. D’un autre côté, malgré ses récens échecs, le jacobinisme était encore dans certaines provinces puissant et redoutable, même à Paris il était menaçant et hargneux; la France, avant toute chose, voulait en être délivrée : elle bornait là ses prétentions, et comme depuis le 9 thermidor