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effrayée, tendit les bras aux démagogues, aux sans-culottes, aux ignobles débris de l’ancienne commune, on les décorant seulement du nom de patriotes de 89. Le choix de tels défenseurs décupla la fureur et l’audace de la bourgeoisie parisienne. Alors la convention fit appel aux baïonnettes. Déjà depuis quelque temps sa force et son espoir n’étaient plus que dans l’armée. Elle s’était hâtée de faire adopter dans les camps sa constitution et ses décrets. Les soldats avaient voté, sous les armes, par acclamations. «C’était, dit le maréchal Saint-Cyr dans ses mémoires, une de ces fourberies politiques avec lesquelles on leurre les Français. » Cette fois la comédie avait été d’autant plus facile, que l’armée au fond de l’âme était républicaine, beaucoup plus républicaine que le pays, non qu’elle eût pour telle forme de gouvernement plutôt que pour telle autre une prédilection raisonnée, mais parce qu’elle aimait son drapeau et détestait l’ancien régime.

Le défi jeté par la convention à cette classe moyenne, à cette garde nationale qui six mois auparavant, en germinal et en prairial, s’était battue pour elle et l’avait arrachée des mains des jacobins, fut malheureusement et follement accepté. La partie n’était pas égale. Il ne s’agissait plus de dissiper une bande d’énergumènes sans ordre et sans discipline; il fallait soutenir le choc de troupes aguerries, dirigées par un capitaine qui, dans ce combat de carrefour, préludait, sans qu’on s’en doutât, à la conquête de l’Europe. Les assaillans avaient sans doute un avantage, ils attaquaient un pouvoir justement méprisé, pris en flagrant délit d’usurpation et de mensonge; mais, s’ils eussent triomphé, le lendemain était-il clair? Que voulaient-ils? que pouvaient-ils? Offraient-ils au pays en échange de ce gouvernement misérable, mais établi, un autre gouvernement plus digne, plus habile, capable de garantir aux intérêts nouveaux de la grande majorité des Français une égale sécurité? Si difficile que fût la victoire, il était plus difficile encore d’en bien user. C’est là surtout ce qui faisait la force de la convention, ce qui rendait presque certaine la déroute de ses adversaires.

Cette journée du 13 vendémiaire n’était au fond que la revanche du 9 thermidor. La terreur allait-elle renaître? Peu s’en fallut. M. de Barante établit clairement que, si la montagne et les thermidoriens l’avaient voulu, rien n’était plus facile que d’éviter le combat. Ils le rendirent inévitable, ils avaient besoin d’une journée et s’arrangèrent pour que le sang coulât, ce qui n’est que trop facile, nous le savons, dans ces malheureuses rues de Paris. Le but était d’exploiter la victoire, de rendre au gouvernement révolutionnaire sa jeunesse, sa verdeur, de se débarrasser de rivaux incommodes, de casser les deux cent cinquante élections laissées au libre choix des électeurs.