Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élections toutes anti-jacobines, d’ajourner à six mois au moins le renouvellement partiel de l’assemblée, de suspendre la constitution et d’instituer une dictature provisoire. Si ce coup eût réussi, c’en était fait de tout le terrain conquis depuis quinze mois; l’assemblée retombait sous le joug. Déjà Tallien et Barras, revenus à leurs premiers instincts, s’étaient faits chefs de la cabale; ils semblaient sûrs du succès, lorsqu’ils furent pris corps à corps avec énergie et sang-froid par quelques membres de la droite. C’en fut assez pour rendre un peu de cœur à la majorité et mettre l’intrigue en déroute. Cette séance du 1er brumaire est une heureuse exception dans l’histoire de la convention. Lanjuinais, Boissy-d’Anglas et surtout Thibaudeau y firent de la vraie, de la bonne résistance. Sans eux, la victoire de vendémiaire dégénérait en tyrannie; ils lui donnèrent, malgré les vainqueurs, un caractère de modération. Les élections furent maintenues, la constitution confirmée; puis le 5 brumaire, à deux heures après-midi, la convention, prenant enfin son parti, cessa de vivre. Son président prononça la formule d’adieu, et le même jour, à neuf heures du soir, le corps législatif, c’est-à-dire les cinq cents conventionnels réélus et ceux des députés du nouveau tiers qui étaient arrivés à Paris, se réunit pour former les deux conseils institués par la nouvelle constitution et procéder à l’élection du directoire.

Cinquante ans environ après cette abdication, une autre assemblée souveraine, parvenue, elle aussi, au terme de son mandat, se retirait, sans mot dire, au jour fixé par la loi, déposant sa souveraineté aux mains d’une héritière élue pour la contredire et détruire presque tout ce qu’elle avait fait. D’où vient que cette assemblée n’avait pas tenté, comme la convention, de se maintenir au pouvoir, de s’imposer aux électeurs, de les forcer à réélire tout ou partie de ses membres? D’où vient que sa mauvaise humeur s’était bornée à décréter quelques mauvaises lois, à semer quelques ronces sous les pas de ses successeurs ? Sans doute il faut lui faire honneur à elle-même de sa modération, il faut en savoir gré surtout à une minorité ferme, éclairée, nombreuse, soutenue par le sentiment public; mais ce qui condamnait plus sûrement encore la constituante de 1848, en dépit de ses passions et de ses penchans révolutionnaires, à tolérer la liberté des votes, à subir respectueusement les arrêts du scrutin, c’étaient les trente-cinq ans de liberté légale dont la France venait de jouir. Les bons gouvernemens ont un beau privilège : ils font, même quand ils ne sont plus, le bien des peuples qui les ont laissés tomber. Lorsqu’un pays, pendant un tiers de siècle, a vécu dans une atmosphère de légalité et de vraie liberté, il a, même à son insu, contracté de tels besoins de modération et de justice, que, pendant un certain temps, il en est comme protégé contre l’excès du despotisme. La convention