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chais, il ne laissait pas d’avoir le sentiment que sa pièce dépassait un peu la dose de licence accordée à une comédie ; aussi le voit-on, comme les ingénieurs qui s’inquiètent surtout du côté faible d’une place, incessamment occupé à défendre le côté vulnérable du Mariage de Figaro. La grande affaire de sa préface est de prouver particulièrement que le Mariage de Figaro est empreint d’une moralité profonde ; sa correspondance est remplie de lettres aux acteurs de Paris ou aux directeurs des théâtres de province, recommandant surtout de jouer la pièce noblement, de ne l’avilir par aucune charge indécente, d’éviter de pousser même la gaieté jusqu’à l’effronterie. Tout cela est très bien ; mais, comme dirait Beaumarchais lui-même, tout cela est bon pour le discours, et il serait assez difficile de jouer le Mariage de Figaro avec une parfaite candeur.

S’il est vrai que la moralité d’une comédie consiste à rendre le vice ridicule, méprisable ou odieux, on serait assez embarrassé pour déterminer la moralité du Mariage de Figaro. On a loué quelquefois Beaumarchais de l’impartialité courtoise avec laquelle il avait dessiné la figure d’un grand seigneur libertin. Le comte Almaviva en effet, quoique déjoué dans ses projets de séduction, reste le personnage distingué de la pièce, non-seulement par le ton et la tenue, mais même par les sentimens. Et cependant c’est lui surtout qui représente le vice, de sorte qu’il ne faut pas avoir beaucoup d’imagination, étant donné le caractère de Suzanne, pour admettre que si Almaviva a perdu la partie ce jour-là, il ne tiendra qu’à lui, pour peu que sa fantaisie persiste, de prendre bientôt sa revanche sur Figaro. De son côté, Figaro, quant aux intentions, est évidemment l’honnête homme de la pièce : il défend sa fiancée contre la corruption, et contribue à ramener le comte vers sa femme ; mais pour s’apercevoir de ses bonnes qualités, le spectateur a grand besoin d’y regarder à deux fois, tant cette physionomie est mélangée.

Figaro se sent si fier de sa supériorité sur tout ce qui l’entoure, qu’il met une sorte de forfanterie à se faire beaucoup plus roué qu’il ne l’est en effet. Par exemple, quand il dit de Basile : « Fripon, mon cadet, je t’apprendrai à clocher devant les boiteux, » il ne tiendrait qu’à nous de croire qu’il revendique le droit d’aînesse en friponnerie, et cependant ce n’est pas la friponnerie, c’est seulement l’intrigue qu’il aime de passion. De même, dans la scène si grossière avec Marceline, scène pour laquelle Beaumarchais a beau jeu de recommander aux acteurs la décence et la noblesse, lorsque Figaro, en retrouvant sa mère, lui dit : « Embrassez-moi le plus maternellement que vous pourrez ; j’étais loin de vous haïr, témoin l’argent ; » ce cynisme artificiel et forcé produit une si fâcheuse impression, que lorsque Beaumarchais veut mettre dans le cœur de Figaro un bon sentiment, dans