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guitare, aux balcons et à d’autres accessoires de même nature, mais qui ne laisse pas de contribuer à leur donner une physionomie originale. Dans sa structure, le Mariage de Figaro, avec ses surprises, ses scènes de nuit et ses coups de théâtre, n’est pas sans analogie avec la comédie espagnole, surtout avec les pièces d’intermèdes, qui, on l’a vu dans les lettres écrites d’Espagne par Beaumarchais, l’avaient particulièrement intéressé. Le personnage principal, quoiqu’il dérive plutôt du Gil Blas français que du gracioso espagnol, présente cependant quelques traits qui le rapprochent de ce dernier type, ne serait-ce que le goût des proverbes et du bel esprit. Dans la comédie de Moreto intitulée : No puede ser el guardar una mujer (garder une femme est chose impossible), comédie qui présente quelques rapports de détail avec le Barbier de Séville, il y a un gracioso, Tarugo, qui n’est pas sans offrir une certaine parenté avec Figaro. Un critique distingué, en cherchant l’étymologie de ce nom de Figaro, qui, pris en lui-même, n’est point espagnol, l’a fait dériver du mot picaro, qui est à peu près synonyme de vaurien, et qui a donné son nom en Espagne à toute une série de romans dits picaresques, dont les héros sont des aventuriers. J’ai vainement cherché dans les papiers de Beaumarchais quelque vérification de cette étymologie. Ce qui me porterait à en suspecter la justesse, c’est que dans le manuscrit du Barbier de Séville, l’auteur, au lieu d’écrire Figaro, écrit constamment Figuaro. Ce nom que Beaumarchais a rendu si fameux, se serait donc d’abord présenté à son esprit sous une forme qui n’est pas celle adoptée plus tard par lui-même dans le texte imprimé, et qui nous éloigne un peu plus de l’étymologie de picaro ; mais Figuaro n’étant pas plus espagnol que Figaro, la difficulté reste entière et la question aussi douteuse que pour le Tartufe de Molière, dont l’étymologie est également un peu incertaine. Peut-être serait-il plus juste de faire dériver ce nom de fantaisie adopté par Beaumarchais du mot espagnol figura, qui s’applique à des personnages de comédie et qui, transformé en figuron, est devenu le nom commun de toute une classe de pièces qui tiennent de la caricature.

Quelque opinion qu’on ait de cette étymologie, ce qui peut sembler bizarre au premier abord, c’est que de tous les pays où les deux comédies de Beaumarchais ont été traduites[1], l’Espagne est celui

  1. Elles l’ont été à peu près partout, car en même temps que le prince de Nassau constate, dans une de ses lettres, l’existence et le succès d’une traduction polonaise du Barbier de Séville, Gudin, dans son manuscrit, nous assure que le Mariage de Figaro, « traduit, dit-il, dans la langue de l’Indostan, a été joué dans cette langue sur ces mêmes rives où les Grecs allaient chercher la sagesse. » Beaumarchais, avec son caractère essentiellement français, paraît en général se soucier assez peu de ce qui s’écrit sur lui à l’étranger. Par exemple, je ne trouve nulle mention dans ses papiers qu’il se soit