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Ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant. M. de Calonne écrivit à Beaumarchais que le roi le tenait pour justifié et saisirait avec plaisir les occasions de lui donner des marques de sa bienveillance. Louis XVI le fit bientôt de la façon la plus noble et la plus digne d’un roi qui sent qu’il a eu tort : « Le Barbier de Séville, dit Grimm, a été représenté sur le petit théâtre de Trianon dans la société intime de la reine, et l’on a daigné accorder à l’auteur la faveur très distinguée d’assister à cette représentation. C’était la reine elle-même qui jouait le rôle de Rosine, M. le comte d’Artois celui de Figaro, M. de Vaudreuil celui du comte Almaviva, etc. À coup sûr, on ne pouvait pas faire à Beaumarchais une réparation plus délicate et plus flatteuse de l’affront qu’il avait reçu. »

À ces réparations délicates vinrent s’ajouter des témoignages plus substantiels de la bienveillance du roi ; mais on a commis à ce sujet une erreur, basée sur une lettre publiée pour la première fois dans la petite édition in-18 de Beaumarchais que M. Ravenel a enrichie de notes intéressantes. Dans cette lettre sans adresse et qui porte la date de juin 1785, Beaumarchais semble dire qu’il a reçu du roi, depuis sa disgrâce, deux millions cent cinquante mille livres sur de longues avances dont il sollicitait le remboursement. Il y a là une erreur matérielle, soit que la lettre réimprimée par M. Ravenel d’après un journal ne soit pas authentique, ou soit que Beaumarchais ait eu à ce moment quelque intérêt à paraître avoir reçu en bloc cette somme de 2 millions et plus. Ce qui est certain, c’est qu’il n’a reçu à cette époque que 800,000 livres. On se souvient que depuis 1779 il était en instance auprès du gouvernement pour obtenir une indemnité au sujet de sa flotte marchande, sacrifiée aux opérations militaires de l’amiral d’Estaing. On se souvient qu’il avait reçu successivement pour cet objet 905,000 livres d’une part, et d’autre part, trois mois avant la représentation du Mariage de Figaro, 570,625 livres avec une lettre de M. de Calonne lui annonçant que ses répétitions ultérieures seraient réglées par un comité d’armateurs. Ce sont ces répétitions ultérieures qui furent réglées, assez longtemps après l’emprisonnement à Saint-Lazare, par un ordre du roi en date du 12 février 1786, à la somme de 800,000 livres, laquelle, jointe aux deux sommes précédentes, forme un total de 2,275,625 livres que Beaumarchais a reçues, on le voit, non pas en bloc, mais par portions et à plusieurs années de distance. Nous avons dû donner ces détails, afin que l’on comprenne bien que la somme reçue après la détention à Saint-Lazare n’était pas un don du roi déguisé sous forme d’indemnité, mais le complément d’une réclamation sérieuse, fondée, et depuis longtemps reconnue par le gouvernement[1].

  1. Nous devons aussi faire valoir à ce sujet un argument qui nous a échappé lorsque