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Malgré les dédommagemens que la bonté du roi accordait à Beaumarchais, ce témoignage public, non-seulement de rigueur, mais de mépris, donné dans un moment d’aveugle colère, eut une fâcheuse influence sur la situation morale de l’auteur du Mariage de Figaro vis-à-vis de l’opinion. On l’avait vu pour la première fois subissant un outrage et obligé de se taire devant la qualité de l’offenseur ; ses ennemis se sentirent plus encouragés à l’attaque, et bientôt son étoile, qui commençait à pâlir, le mit aux prises avec un homme non moins audacieux, mais plus jeune et plus redoutable que lui.

Deux habiles mécaniciens, les frères Périer, avaient entrepris de faire distribuer l’eau de la Seine dans tous les quartiers de Paris, à l’instar de ce qui se pratiquait déjà depuis longtemps à Londres, en établissant sur les hauteurs de Chaillot cette pompe à feu qui existe encore. Ils s’étaient adressés à Beaumarchais, qui, toujours porté vers les entreprises utiles et pouvant devenir fructueuses, leur avait fourni des fonds, les avait aidés à fonder une société dont il était un des principaux actionnaires et un des administrateurs. Les actions, tombées d’abord au-dessous du pair, avaient éprouvé en 1785 une hausse rapide et considérable. Quelques banquiers, ayant aventuré beaucoup d’argent en jouant sur la baisse, avaient un intérêt pressant à arrêter et à faire rétrograder ce mouvement. Mirabeau se trouvait alors à Paris au sortir des prisons où il avait traîné son orageuse jeunesse, n’étant guère connu encore que par son ouvrage sur les lettres de cachet et par le scandale de ses procès et de ses amours. Pauvre, pressé de mille besoins de luxe, il rôdait à travers cette société en décadence, sicut leo rugiens quærens quem devoret, ou, si l’on aime mieux, comme un chevalier errant cherchant aventures et coups de lance. Lié avec les financiers Panchaud et Clavière, qui lui prêtaient de l’argent et que la hausse des actions des eaux de Paris contrariait essentiellement, muni par eux de calculs plus ou moins exacts, il entra en campagne contre la société des frères Périer par une brochure éloquente, dans laquelle il prétendait éclairer la nation sur ses véritables intérêts, et lui démontrer patriotiquement que la pompe à feu de Chaillot était une entreprise détestable.

En sa qualité d’actionnaire et d’administrateur, Beaumarchais avait également un intérêt patriotique à démontrer le contraire. Il faut noter cependant que sa position était bien plus nette que celle de son adversaire, puisqu’il défendait à la fois sa chose et une opération incontestablement utile. À la brochure de Mirabeau il répon-

    nous avons parlé des 3 millions donnés secrètement à Beaumarchais en 1776 et 1777 pour concourir aux fournitures américaines. N’est-il pas évident que si Beaumarchais n’avait pas rendu à M. de Vergennes un compte satisfaisant de l’emploi de ces 3 millions, il n’aurait pas reçu plusieurs années après, sous le ministère de ce même M. de Vergennes, 2 millions en plus à titre d’indemnité ?