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chemins de fer dont on achète les actions pour son argent. Rien ne le prouve mieux que l’émotion causée par les accidens successifs qui ont eu lieu sur le chemin de Paris à Bordeaux. Ces accidens ont été assez sérieux et assez répétés pour que le gouvernement ait cru devoir intervenir, et restreindre le nombre des convois qui parcourent cette grande ligne. Que la compagnie fasse savoir qu’elle perçoit de grosses recettes chaque semaine, soit; mais il y aurait à se demander, si le gouvernement n’y veillait point, ce que deviendrait la vie des hommes livrée à un tel monopole, quand il sera partout organisé. Nous ne sommes point encore des Américains du Nord; nous n’avons point ce degré d’héroïsme des citoyens de l’Union qui se cotisent pour payer l’amende du capitaine de leur paquebot, afin qu’il parte sans subir l’inspection de police et qu’il devance un concurrent. Et, à vrai dire, cela nous rassure un peu, parce que cela prouve que nous ne sommes pas des industriels aussi enracinés qu’on le dit parfois. Nous avons le goût, l’esprit, le besoin de l’industrie, nous n’avons pas cette passion qui sacrifie tout, fût-ce la vie des hommes, à l’industrie elle-même. Nous voulons des chemins de fer, mais à la condition d’arriver. C’est bien assez d’être emporté à l’état de numéro, de colis humain, par la machine fumante. — C’est qu’après tout au-dessus de l’ardeur des choses matérielles il nous reste toujours l’intelligence, l’imagination, ce qui fait notre piège souvent, ce qui fait aussi l’éclat et le charme de notre civilisation.

C’est ce qui fait la supériorité et l’attrait toujours rajeuni des choses de l’intelligence parmi nous. Quand la vie intellectuelle est puissante et bien réglée, elle élève et elle éclaire une époque; elle n’est pas seulement une décoration brillante, elle est comme l’âme secrète et le ressort de tout. Quand elle a été altérée dans ses sources, atteinte dans son essence même, dans le fond des idées et dans la manière de les exprimer, il vient bientôt un moment où on sent le besoin de se demander la raison de ces altérations, et de retrouver un peu de cette vie juste et saine de l’intelligence dont on est sevré. Ce n’est pas seulement par l’instinct littéraire qu’on y est conduit, c’est encore parce que, dans un pays comme le nôtre, l’ascendant de l’esprit, le maintien de la civilisation intellectuelle est presque un intérêt politique. Alors on se sent pressé de secouer toutes les influences funestes; alors, par un retour salutaire, on se reprend à chercher comment pourront renaître des doctrines saines, des notions vraies; on se remet sur la trace des philosophies qui ne commencent pas par renier Dieu et par dénaturer l’âme humaine; on aperçoit ce qu’il peut y avoir de fécondité nouvelle dans la simplicité et la rectitude de l’imagination. La lassitude de toutes les falsifications systématiques de l’histoire ramène à la véritable histoire. En un mot, on sent de nouveau tout le prix d’une littérature bien pensée, bien inspirée, bien parlée. On ne saurait le nier, il y a depuis quelque temps en France comme un vague travail de retour vers des conditions intellectuelles meilleures. Ce n’est pas que ce mouvement soit bien prononcé, qu’il ait un but avoué et très net; on cherche, on hésite, on s’interroge, on revient sur bien des choses en philosophie, en littérature. Bien des esprits sont possédés de ce besoin de se relever virilement, de se remettre dans une route plus droite et plus sûre. L’auteur d’un livre intitulé Premières Études de philosophie a eu une idée qui n’est point sans