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caractériser un certain côté de la période actuelle. Il a eu l’idée, en donnant à son étude la forme autobiographique, de prendre un esprit malade ayant goûté à tous les systèmes, ayant subi toutes les influences, ayant demandé leur secret à toutes les sectes, — de ramener pas à pas cet esprit vers des vérités plus solides, et de le faire remonter par degrés jusqu’aux sereines hauteurs d’une science qui commence par avouer Dieu et les mystères du dogme religieux, pour pouvoir se promener plus librement el plus sûrement sur le monde. Que l’auteur applique cette analyse à lui-même ou à un autre, peu importe; l’intérêt est dans ce travail méthodique pour se refaire une conscience, pour retrouver l’une après l’autre les vérités d’une philosophie spiritualiste, trésors de la raison respectueuse et virile. Dans la voie du vrai et du bien, il y a d’ailleurs une logique comme dans la voie du mal; une fois qu’on est entré dans la première, les conséquences s’enchaînent vite, une vérité amène à l’autre; à mesure qu’on avance, les choses s’éclairent d’un jour plus juste, et l’esprit sent l’aiguillon des émulations généreuses qui font de cette recherche une sorte de drame intellectuel saisissant et instructif. Ce que nous disons ici, l’auteur des Premières Études de philosophie l’a-t-il réalisé complètement ? Nous n’affirmerions pas qu’il ait fort enrichi la science par ses dénominations nouvelles de l’autonomie et de l’hétéronomie du savoir humain pour des choses qui pourraient s’appeler d’un nom plus simple. Ce qu’on pourrait dire, c’est qu’il y a dans son livre, au milieu d’une certaine confusion, plus d’une pensée ingénieuse et juste, plus d’une page remarquable écrite dans un style visiblement inspiré des philosophes français du XVIIe siècle. C’est là en effet un style qu’il faut, non pas imiter, mais étudier, comme il faut étudier tous les secrets de cet art savant et immortel qui a fait notre langue assez puissante pour régner sur le monde, et assez malheureuse pour que des démocrates encore aujourd’hui en Amérique trouvent dans son universalité même la raison d’en faire la langue prédestinée de l’esprit révolutionnaire. On conviendra du moins que ce n’est point à cela qu’avaient songé Bossuet et Pascal.

Quand nous disons qu’il serait facile de distinguer autour de nous les symptômes d’un travail mystérieux des esprits, cela veut dire que nous sommes dans un état de transition; mais le propre des momens de transition, c’est que tout s’y mêle,— le pressentiment de quelque chose de nouveau, le reflet de l’inconnu en quelque sorte, et les traces de toutes les influences qui ont régné longtemps. Ces traces sont encore nombreuses à coup sûr; elles se font sentir dans ce qui reste du drame, du roman, de la poésie de tous les jours; la fantaisie y a sa place, comme on sait. La fantaisie même a cela de particulier qu’elle séduit naturellement les plus jeunes esprits, et c’est une illusion singulière, car il n’y a de fantaisie véritable et féconde que chez les esprits qui ont en eux-mêmes quelque chose de puissant, qui sont familiarisés avec tous les mystères, avec tous les caprices de l’âme humaine; sans cela, ce n’est tout au plus que le jeu facile et puéril d’une imagination adolescente. Qu’est-ce donc, par exemple, que cette comédie de Murillo, représentée il y a peu de jours au Théâtre-Français ? Nous ne demanderons point certainement si c’est par des ouvrages de ce genre que le Théâtre-Français prétend vivre. L’auteur lui-même, jeune encore, à ce qu’il semble, n’a point eu sans doute la pensée