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solennité l’entrée du général russe dans leurs capitales, et les églises d’Yassy et de Bucharest durent retentir des chants du Te Deum en l’honneur d’un événement si funeste au pays. A peine installé à Bucharest, le prince Gortchakof prit le pas dans toutes les occasions sur le prince Stirbey.

Une pareille situation était propre assurément à éclairer les hospodars sur la conduite qu’ils avaient à tenir pour échapper à de plus grandes humiliations. On pouvait donc s’attendre à ce qu’en faisant appel à leur loyauté, la Porte Ottomane trouverait en eux des dispositions marquées à rester fidèles à leur devoir. Ce fut en effet, on doit le croire, leur premier mouvement, en recevant la lettre de Réchid-Pacha, qui les invitait à continuer le paiement du tribut, ou à quitter le pays, en emportant avec eux la souveraineté locale qu’ils n’exerçaient plus librement.

On s’est demandé dans les principautés si ces ordres de la Porte n’ajoutaient point aux difficultés, déjà trop nombreuses, que les hospodars avaient à vaincre; mais pouvait-elle tenir honorablement une autre conduite ? Conformément aux désirs de ses alliés, qui avaient foi alors dans le succès des négociations, elle s’était contentée d’une simple protestation en présence du passage du Pruth. Quand l’occupation prenait toute l’apparence d’une conquête, quand les hospodars recevaient l’ordre de se détacher d’elle, en cessant de lui payer le tribut, devait-elle accepter silencieusement cette nouvelle infraction aux traités ? Les alliés de la Turquie pensaient en cette occasion comme elle, et l’on a lieu de croire que le même courrier qui transmettait aux hospodars l’invitation de Réchid-Pacha portait aux consuls de France et d’Angleterre l’ordre d’amener leur pavillon, dans le cas d’un refus d’obéissance de la part des princes, comme dans celui où, faisant passer le devoir avant l’intérêt, ils quitteraient les principautés.

Il serait impossible de retracer l’anxiété, l’agitation, les douloureuses hésitations dans lesquelles l’alternative posée aux hospodars les jetait naturellement. Sur le premier moment, le prince Stirbey, qui ne pouvait méconnaître la parfaite équité des invitations de la cour suzeraine, laissa croire que le sentiment du devoir l’emporterait. Dans cette chaleur du premier mouvement, il comprenait que telle était la conduite que lui prescrivaient l’honneur, la dignité et le respect de soi-même. Mais pouvait-il se maintenir dans de si excellentes dispositions en présence du langage que lui tenaient alternativement le commandant en chef de l’armée d’occupation et le consul-général de Russie ? On assure que ni l’un ni l’autre ne voulait prendre sur lui de donner à l’hospodar l’ordre écrit de désobéir à la Porte; mais en rejetant sur le prince la responsabilité tout entière de sa décision, ils ne lui en laissaient point ignorer les conséquences possibles. Chose étrange! c’étaient les autorités russes qui invoquaient ici les traités. Dans leur opinion, la Porte n’avait point le droit de prononcer seule la déchéance des hospodars. On faisait toutefois valoir des argumens plus propres à agir sur l’esprit du prince de Valachie. On lui représentait que la Russie était forte, et qu’il n’était pas sans péril pour un prince placé sous sa protection de traverser ses desseins. Une disgrâce, en le frappant, rejaillissait dans l’avenir même sur sa famille. Au contraire, en se déclarant ouvertement pour la Russie, il n’avait que des faveurs à attendre de ce côté. son avenir et celui des siens était assuré, car le