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cabinet de Saint-Pétersbourg n’abandonne jamais ceux qui ont servi avec dévouement sa politique. — Que peut la Turquie dans les principautés ? disait-on encore au prince de Valachie. Quelle récompense peut-elle offrir à la fidélité ? N’est-ce pas, au contraire, en bravant son autorité, que Méhémet-Ali, Milosch Obrenovitch, George le Noir, qui n’étaient au début de leur carrière que des rebelles fameux, ont obtenu, de la puissance même dont ils avaient méconnu l’autorité, des honneurs, des dignités, le pouvoir qu’ils n’auraient jamais gardé, s’ils étaient restés fidèles ? Il n’y a donc rien à espérer ni à craindre de la Porte, tandis que la Russie a en même temps le pouvoir et l’intention de récompenser ou de punir dans la mesure de ce que l’on aura fait pour ou contre elle. — Tel est le langage que l’on tenait au prince de Valachie, et que lui répétaient, avec toutes les variantes que pouvait leur inspirer leur zèle, les agens et les confidens valaques de l’influence qui dominait dans le pays.

Il eût fallu un caractère plus ferme que celui du prince Stirbey pour résister à de semblables considérations. On s’arrangea toutefois de manière à donner à la détermination de l’hospodar une couleur spécieuse. Comme les autorités russes avaient refusé de lui délivrer l’ordre écrit de désobéir à la Porte, on eut recours à de prétendues supplications du pays, ou du moins du corps qui est censé le représenter. Le divan valaque fut convoqué à l’effet de déclarer que le prince ne devait pas quitter la principauté. La résolution était prise, et la leçon faite à chacun des membres de ce conseil. Tant pis pour ceux dont la conscience y répugnait! On assure que l’adresse, qui devait être délibérée et votée après une prétendue discussion en règle dans le divan, était rédigée trois jours d’avance, par voie d’autorité supérieure, dans la forme définitive qu’il était enjoint d’y donner. On a prétendu toutefois, à l’honneur du prince Stirbey, que dans cet instant critique et décisif, saisi par un retour de conscience, il serait revenu aux premiers sentimens qu’il avait laissé éclater en recevant la lettre de Réchid-Pacha, qu’il aurait même fait connaître aux autorités russes son intention d’obéir à la Porte. Mais le vote du divan valaque était venu trancher la question; et après avoir répondu d’abord à Réchid-Pacha qu’il avait été sur le point d’obtempérer à l’invitation de la cour suzeraine, et qu’il n’était retenu que par l’émotion produite dans son conseil, le prince Stirbey écrivit à la Porte que le vœu du pays s’opposait décidément à son départ.

En Moldavie, les choses avaient suivi une marche analogue, sauf la sincérité plus grande que le prince Ghika avait apportée dans les diverses phases de l’incident. Ayant peut-être le sentiment du bien qu’il pouvait faire encore dans l’administration d’un pays auquel il paraît avoir consacré loyalement toute sa sollicitude, il ne croyait pas devoir dissimuler qu’il tenait au pouvoir, dont il était depuis trop peu de temps encore le dépositaire pour avoir accompli toutes les salutaires mesures qu’il avait projetées. Il est juste de le dire, le pays n’était pas moins sincère dans la crainte qu’il avait de voir échapper l’autorité à des mains plus pures que celles qui l’avaient depuis longtemps exercée en Moldavie. Il n’avait pas été nécessaire de travailler les boyards, le clergé et la bourgeoisie commerçante pour les décider à voter des adresses dans lesquelles ils suppliaient le prince de ne point abandonner le