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appartenait-il à cet esprit inquiet, dont la foi ne reposait pas sur une conviction réfléchie, de dénoncer à l’archevêque de Rouen les affirmations plus bouffonnes que dangereuses du père Saint-Ange ? Dire que le nombre des hommes qui comparaîtront devant le tribunal de Dieu au jour du jugement dernier est représenté par la somme des élémens dont se compose le globe que nous habitons, est-ce là, je le demande, une hérésie bien dangereuse ? N’est-ce pas tout bonnement une parole de fou ? La plupart des affirmations du père Saint-Ange sont de la même force. Toutes les fois que Pascal et ses amis demandaient au capucin la preuve de ce qu’il avançait, il répondait invariablement et du ton le plus sérieux : « Tout cela est très clair quand on connaît mes antécédens. » Il voulait dire ses prémisses, mais il se gardait bien de les révéler, de telle sorte que ses auditeurs réduits à la mineure et à la conclusion, étaient forcés de l’écouter sans le contredire. Le père Saint-Ange, dénoncé par Pascal, fut obligé de rétracter par écrit, comme maximes hérétiques, toutes les folies qu’il avait débitées sur la création et la fin du monde, sur les mystères de la foi chrétienne et sur la généalogie de Jésus-Christ, qu’il disait né, non pas de la famille de David, mais dans la famille de David. Grammaticalement parlant, il donnait une entorse au style de la Vulgate ; c’était, aux yeux de Pascal et de ses amis, une énormité qui méritait les reproches les plus sévères. Une première rétractation acceptée par M. de Bellay, qui remplissait par intérim les fonctions épiscopales à Rouen, fut refusée par l’archevêque de Harlay, et le père Saint-Ange, sans essayer d’expliquer ses antécédens, abjura comme hérétiques et dangereuses pour la foi les opinions qu’il avait exprimées, non pas en public, mais dans sa chambre et devant trois personnes.

Si j’ai rappelé ce triste épisode, c’est qu’à mes yeux il jette un jour nouveau sur la foi de Pascal, tout aussi bien que la règle des paris, appliquée à l’existence de Dieu. Un homme en effet dont la croyance reposerait sur de solides fondemens, qui trouverait dans le spectacle de l’univers, ou dans sa propre conscience, la démonstration de l’existence de Dieu, ne s’alarmerait pas si facilement en écoutant les rêveries d’un fou. Pascal, en dénonçant le père Saint-Ange, n’était pas seulement coupable d’intolérance, mais coupable aussi de pusillanimité. Il fallait qu’il fût bien mal assuré dans sa foi pour s’inquiéter de pareilles billevesées. Son accusation ressemblait à une défense, on eût dit qu’il voulait protéger sa conviction chancelante contre ces étranges nouveautés.

M. Cousin, pour établir le scepticisme de Pascal, ne s’est pas contenté d’une preuve unique, et pourtant cette preuve était victorieuse. Le chapitre sur la règle des paris ne laissait aucune prise à l’équivoque.