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plus qu’un vain mot, la force deviendrait la reine du monde, et j’espère bien pour ma part qu’il n’en sera jamais ainsi. Cette réserve faite, et je devais la faire, je me plais à reconnaître que tous les documens réunis par M. Cousin sur la vie de Santa-Rosa offrent un puissant intérêt. Maître absolu des destinées de son pays pendant quelques semaines, vaincu, condamné à mort, quoique le bon droit fût de son côté, Santa-Rosa vient se réfugier à Paris. Traqué par la police de M. de Corbière, interné dans la ville d’Alençon, il emploie les tristes loisirs de son exil à rechercher la forme de gouvernement qui se prête le mieux aux développemens, à l’affermissement, à la durée de la liberté. Ame généreuse, esprit de second ordre, il voit le but, mais il y marche lentement. Dans sa solitude d’Alençon, il se prend à regretter sa petite chambre de la rue des Francs-Bourgeois-Saint-Michel et ses longues conversations avec son cher Victor sur Platon, sur la théodicée sur le sort de l’Italie sur l’avenir politique de l’Europe. M. Cousin fait le voyage d’Alençon et discute avec Santa-Rosa les idées qui sont devenues plu tard l’argument philosophique du Phédon. Il achève en quelques jours ce morceau d’une sérénité si austère, un des plus beaux qui soient sortis de sa plume, et vient le lire à l’exilé. Santa-Rosa l’écoute avec une attention inquiète et s’afflige de ne pas retrouver dans l’explication du Phédon l’Évangile tout entier. Il oublie que l’Académie placée entre le mosaïsme qu’elle ignorait et l’Évangile qu’elle ne pouvait prévoir, n’a pu expliquer sur la Divinité, sur la destinée future de l’homme, sur les châtimens et les récompenses, que des pensées incomplètes. Il essaie à plusieurs reprises d’entraîner son ami hors des voies de l’histoire, et de transformer Platon en père de l’église. M. Cousin résiste avec raison, et Santa-Rosa s’en afflige ; puis la conversation change bientôt d’objet, et M. de Bonald est mis sur le tapis. La Législation primitive est commentée par les deux amis et réduite à sa juste valeur. Ce plaidoyer en faveur du gouvernement théocratique, parfois habile et spécieux, plus souvent encore verbeux et vide, est pour Santa-Rosa une lecture douloureuse, car le noble exilé voudrait concilier la foi la plus fervente et la plus sincère avec le développement le plus complet de la liberté politique. Demeuré seul après le départ de M. Cousin, Santa-Rosa songe à quitter la France et demande vainement à M. de Corbière un passe-port pour l’Angleterre. Enfin, après une lettre au ministre pleine de noblesse et de modération, il obtient la permission de quitter Alençon et arrive à Londres. Aux prises avec la pauvreté, il ne se décourage pas. Il écrit sans relâche pour les journaux et les recueils périodiques, mais il ne tarde pas à se lasser des mutilations imposées à sa pensée. Il quitte Londres plein de tristesse et va se réfugier à Nottingham. Il n’ose rien demander à sa famille,