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XVIIe siècle. Quoique Lulli soit Italien, c’est en France qu’il a développé, je ne dirai pas son génie, mais au moins son imagination. Tous ceux qui ont pu comparer l’Alceste de Lulli à l’Alceste de Gluck savent tout ce qu’il y a d’élégant et de passionné dans la manière du maître italien. Le duo d’Alceste et de Caron est familier à tous les élèves de M. Delsarte ; le moment où Alceste s’écrie pour fléchir Caron : « Une ombre tient si peu de place ! » a été traduit par Lulli avec une éloquence que ni Gluck, ni Grétry n’ont jamais surpassée. Gluck est sans doute supérieur à Lulli dans l’ensemble de son Alceste, mais il n’a pas surpassé le caractère pathétique du duo d’Alceste et de Caron, écrit par le maître florentin ! M. Cousin aurait dû appliquer jusqu’au bout la théorie qu’il avait exposée. Apres avoir démontré, et c’était son droit, que les arts ne doivent, dans aucun cas, empiéter sur le domaine l’un de l’autre, il devait avoir à cœur de prouver qu’en France, au XVIIe siècle, toutes les formes de l’imagination vérifiaient sa théorie. J’ai donc peine à comprendre que M. Cousin, en parlant de l’art français au XVIIe siècle, ait passé la musique sous silence.

Malgré ces réserves, que je crois nécessaires et qui traduisent très fidèlement ma pensée, je me plais à reconnaître que l’esquisse esthétique présentée par M. Cousin renferme à peu près tous les élémens d’une doctrine, complète. Pour donner à cette esquisse la rigueur qui lui manque, il s’agirait tout simplement de partir de la réalité pour s’élever jusqu’à la vérité, au lieu de suivre la méthode inverse, comme l’a fait M. Cousin. Observer, analyser les faits particuliers avant de formuler les principes généraux, qui doivent résumer les faits particuliers et en exprimer le sens intime et commun, telle est à mes yeux la seule méthode qui puisse aboutir à des conclusions vraies en esthétique aussi bien que dans toutes les autres branches du savoir humain. Eliminer l’induction et vouloir débuter par la déduction sera toujours une tentative imprudente et téméraire. Les principes les plus vrais sont pleins de dangers pour l’esprit qui n’a pas pris la peine de les vérifier. Il peut arriver alors à cet esprit, si éminent qu’il soit, d’affirmer une idée générale parfaitement juste, et d’invoquer comme argument à l’appui de cette idée générale des faits particuliers qui non-seulement ne sont pas contenus dans cette idée générale, mais qui la contredisent. Ainsi M. Cousin, parlant du beau idéal, dont il comprend toute l’importance, cite avec une prédilection marquée, et à plusieurs reprises, l’Apollon du Belvédère et la Vénus du Capitole. Or non-seulement ces deux ouvrages, très recommandâmes d’ailleurs, ne sont pas des ouvrages de premier ordre, tant s’en faut, mais encore ils sont empreints chacun d’un caractère