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avait attiré et maintenu l’esprit de la génération nouvelle dans la région des idées pures, qui l’avait entretenue avec tant d’éloquence et d’entraînement du vrai, du beau, du bien pris en eux-mêmes, et des doctrines diverses où ces trois idées étaient manifestées avec plus ou moins d’évidence, ait abandonné sa chaire dans toute la force et la maturité de son talent, car en 1830 il n’avait que trente-huit ans. Il eût été bon et salutaire que sa voix, écoutée par la jeunesse avec tant d’empressement, continuât de retentir dans l’enceinte de la Sorbonne. L’apothéose des intérêts matériels eût peut-être été retardée ; ce professeur habile et convaincu, que le général Foy, dans une visite à la Sorbonne, appelait si justement le prince de la jeunesse, eût tenu en laisse ou muselé les appétits grossiers qui dominent aujourd’hui, chez un trop grand nombre d’esprits, le vrai, le beau et le bien.

L’abdication philosophique de M. Cousin est une faute bien difficile à réparer, car la réunion d’une intelligence capable de comprendre tous les problèmes et d’un talent capable de rendre attrayante l’exposition de toutes les vérités est un accident bien rare dans l’histoire de la pensée. M. Cousin, en possession d’une parole vive et colorée, avait tiré l’histoire de la philosophie du domaine de l’érudition pure pour la transporter dans le domaine de la pensée publique. Ni Tennemann, ni Tiedemann, n’avaient jamais réalisé un tel prodige : ils n’écrivaient que pour les érudits, M. Cousin avait inspiré à la jeunesse, je ne dis pas le goût, mais la passion de la philosophie. Or cette passion, qui peut éloigner de la richesse et du bien-être matériel, mène aux idées généreuses, aux sentimens désintéressés, au dévouement, à l’abnégation, à plus forte raison au respect du droit, à l’accomplissement du devoir. La société gouvernée par de telles idées, par de tels sentimens, a plus de grandeur et de beauté. Il nous reste à souhaiter que M. Cousin reprenne, poursuive et achève comme écrivain la tâche qu’il a si glorieusement commencée comme professeur.


GUSTAVE PLANCHE.