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qui avait déjà cessé de vivre, comme étant celui qui avait administré le poison. Ceux qui disent qu’Aristote conseilla ce crime à Antipater, et que ce fut Antidater qui fit porter le poison, s’appuient d’un certain Agnothémis, qui prétendait le tenir du roi Antigone, et Antigone, comme on sait, fut un de ces généraux qui se disputèrent et se partagèrent, l’empire d’Alexandre. Il paraît même qu’à Athènes les bruits d’empoisonnement trouvèrent un grand crédit, car au moment où cette ville, après la mort d’Alexandre, essaya de secouer le joug des Macédoniens, couronnant encore par quelques exploits glorieux cette dernière lutte pour sa liberté. Hypéride, un des orateurs qui tenaient avec Démosthènes contre le parti macédonien, proposa, dit-on, un décret pour que des honneurs fussent rendus à Iolas, qui avait délivré la Grèce de son formidable oppresseur. Cette croyance à l’empoisonnement pénétra loin dans l’opinion commune. Les livres sibyllins, apocryphes il est vrai, mais anciens, présentant comme futur ce qui était passé depuis longtemps, disent que le Mars de Pella trouvera, trahi par d’infidèles compagnons, la fin de son destin, et que, revenu de l’Inde, une mort cruelle le frappera dans Babylone, au milieu des festins.

On ne s’arrêta pas la, et on indiqua les moyens à l’aide desquels l’empoisonnement avait été pratiqué. À la vérité, comme on va le voir, nous touchons ici de tous côtés au récit populaire et à la légende. Il est en Arcadie, près d’un lieu nommé Nonacris, une source très froide que les Arcadiens assurent être l’eau du Styx. Il ne paraît pas que du temps d’Hérodote on eût attribué à cette eau des propriétés vénéneuses, car il en dit seulement que c’est un filet d’eau tombant d’un rocher dans un bassin, lequel est entouré d’un rebord en maçonnerie ; mais plus tard des dires étranges circulèrent sur cette eau mystérieuse : on prétendait que, dépourvue d’odeur et de saveur, elle n’en était pas moins un poison très subtil, exerçant une action coagulante à l’intérieur. Bien plus, elle ne peut être contenue dans aucune espèce de vase, elle perce le verre, le cristal, les métaux, et on n’a trouvé, pour la contenir et la transporter, que le sabot d’un cheval. De telles propriétés visiblement chimériques sont relatées par Vitruve, par Sénèque, par Pline, par Pausanias. C’est cette eau merveilleuse qui fut choisie pour l’empoisonnement d’Alexandre, et l’on comprend maintenant comment Aristote est impliqué là-dedans ; car, pour la légende populaire, il n’y avait que le philosophe - dont le savoir était aussi renommé que les conquêtes de son disciple - qui pût indiquer ce venin subtil et infaillible.

Ainsi préparé, le poison fut apporté par Cassandre, fils d’Antipater, à Philippe et à Iolas ses deux frères, qui étaient échansons du roi ; mais alors, comme leur charge les obligeait de goûter les mets et les breuvages, comment se fit-il qu’ils n’aient pas été eux-mêmes