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oreiller ; le lendemain matin, on se relève plus fort que la veille, — l’esprit plus sain, la main plus agile, c’est là le bon côté de l’association ; mais, pour qu’elle produise ces utiles résultats, il faut que les membres qui la composent aient une valeur réelle, une intelligence sérieuse, et que leur sympathie procède avec une salutaire franchise. Rien de plus misérablement ridicule que les gens qui font de leurs œuvres une sébile à mendier l’éloge ; rien de plus dangereux que les gens qui s’en montrent prodigues, c’est faire le généreux avec de la fausse monnaie. Malheureusement la franchise est rare. Les gens qui se connaissent le plus intimement, et qui entre eux devraient avoir leur franc-parler, semblent se ménager par un accord tacite ; s’ils essaient quelques critiques, ils ont soin de les émousser, probablement avec l’espérance qu’on usera, le cas échéant, de la même précaution à leur égard. La vanité, c’est le mal de tous ; il y en a qui en meurent, mais le plus grand nombre en vit.

Les amis de Francis poussèrent donc des cris d’admiration. Tant que le succès doit rester entre eux, les jeunes gens aiment volontiers ces glorifications à huis clos. Confondus dans une même obscurité, ils trouvent une sorte de satisfaction à proclamer le succès d’un des leurs. C’est une espèce de menace avec laquelle ils pensent inquiéter ceux-là qui possèdent déjà une réputation dans le public. — Quand le tableau de*** sera exposé, on verra un peu, disent les nus ; quand le livre de *** sera publié, on verra un peu, disent les autres. — Le tableau est exposé, le livre se publie, et le plus souvent l’un n’est pas remarqué, l’autre n’est pas lu. Si le contraire arrive, si le public renouvelle avec un bruyant écho le succès préparé dans l’intimité de la camaraderie, il se produit alors un brusque revirement, et les camarades font la solitude autour du nouvel élu de la foule.

En attendant, les amis de Francis préparaient à ses pas un chemin pavé d’hyperboles. Où il aurait fallu dire : Ce n’est pas mal, ou seulement : C’est bien, on criait à la merveille, au miracle. On lui versait à pleine coupe le vin de l’enthousiasme frelaté. Pour dernier triomphe, le hasard voulut qu’un marchand entendît parler de ces tableaux. Il vint les voir. Le marchand avait la vogue parmi cette étrange clientèle pour laquelle les œuvres d’art ne sont ordinairement qu’un accessoire du mobilier, et qui abandonne à son tapissier le soin de lui choisir une galerie et une bibliothèque. Cet homme, qui faisait de bonnes affaires, grâce à ses nombreuses relations, avait une boutique placée bien en vue dans un riche quartier. L’exposition dans sa montre constituait une quasi-publicité. Il achetait volontiers à bas prix des peintures de rebut qui ne pouvaient avoir accès parmi les amateurs sérieux, mais dont il trouvait le placement