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— Je ne dis pas cela, fit Francis un peu impatienté ; mais j’ai mes habitudes dans ce quartier.

— Mais depuis hier, insista Antoine, il est quelques habitudes auxquelles vous vous êtes engagé à renoncer.

— Ah ! mon cher, répondit Francis, je commence à trouver un peu tyrannique une société qui empêche les membres qui en font partie d’habiter où il leur plaît ; d’ailleurs je n’ai pas vu cet article-là dans ce qu’on m’a lu hier.

— Effectivement il manque, dit Antoine ; mais c’est un tort.

— Comment trouvez-vous cela ? demanda Francis en indiquant l’ébauche de la composition à laquelle il travaillait.

— Tiens, dit Antoine, une allégorie de l’Automne ! Avez-vous déjà reçu la commande de la princesse ?

— Non, dit Francis, la princesse m’a écrit ; mais il ne s’agissait pas d’une commande. Ramassez un de ces papiers qui sont par terre, vous verrez de quoi il était question.

Antoine ramassa une des cinq ou six lettres écrites la veille par Francis. — Ah ! dit le jeune homme avec une certaine émotion, la princesse désire prendre des leçons avec vous. Eh bien ! j’ai agi en bon camarade, puisque je lui ai donné votre adresse.

— Mais vous voyez comment je lui ai répondu ? dit Francis.

— Vous ne lui avez toujours pas répondu cela, puisque la lettre est encore ici.

— Celle-là et les autres n’étaient que des brouillons, répliqua Francis.

— Ah ! et vous avez fait tant de brouillons pour répondre non ? – Et Antoine regarda son co-associé avec, une fixité inquiétante.

— Enfin, dit Francis en baissant les yeux, la princesse a mon refus entre les mains ; vous pouvez être tranquille.

Antoine se retira moins tranquille cependant qu’il n’affectait de le paraître. Les deux jeunes gens avaient senti que quelque chose venait de se briser dans leur intimité de fraîche date. Francis demeura deux ou trois jours sans rendre visite aux buveurs d’eau, et comme aucun d’eux ne vint le voir non plus, cet éloignement réciproque fit naître une égale froideur chez l’un et chez les autres. — Antoine semble me bouder, et c’est mal, disait Francis en lui-même, car enfin j’ai agi loyalement et en bon camarade.

Un soir, il reçut une lettre signée de Lazare : c’était une convocation officielle à une séance extraordinaire de la société. Francis avait rencontré dans la journée un de ses anciens amis, qu’il avait emmené dîner avec lui : il arriva un peu tard chez les buveurs d’eau. — Nous vous attendions pour commencer la séance, dit le président Lazare. Nos réunions officielles sont fort rares, c’est le moins qu’on y soit exact.