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À la dix-huitième représentation de Tarare, en septembre 1787, Beaumarchais écrivait à Salieri, qui venait de repartir pour Vienne : « Enfin, mon cher Salieri, vous recevez donc votre superbe partition, je puis bien la nommer superbe, puisque nous sommes à la dix-huitième séance sans que le public ait cessé un moment de s’y porter en foule. Le 8 de ce mois, grand jour de Saint-Cloud, vous avez fait 4,200 francs, et l’an passé, à pareil jour, un excellent ouvrage n’a donné que 600 francs de recette.

Ah ! bravo, caro Salieri[1]

« Rappelez-moi au souvenir de ce géant qu’on nomme Gluck. »

En décembre 1787, la Correspondance de Grimm constate que la foule se porte encore à l’opéra de Tarare comme le premier jour. « Les spectateurs, dit le nouvelliste, que l’on voit se renouveler à chaque représentation de cet ouvrage, l’écoutent avec un silence et une sorte d’étourdissement dont il n’y a jamais eu d’exemple à aucun théâtre. »

Ceci rend bien l’impression de surprise et d’intérêt sans admiration que produisait ce bizarre ouvrage. Après un succès qui, on le voit, se prolonge assez longtemps, l’opéra de Tarare fut repris une première fois après la révolution, en 1790, à la suite de la fameuse fête de la fédération, qui attirait à Paris tous les patriotes des départemens. Beaumarchais y ajouta, sous le titre de Couronnement de Tarare, un acte presque entier, qui n’a jamais été publié et qui offre un témoignage singulier des préoccupations du temps : c’est la politique envahissant tout, même l’Opéra.

Dans le premier Tarare de 1787, le héros était tout simplement proclamé roi, avec cette recommandation de Calpigi :

Règne sur ce peuple qui t’aime,
Par les lois et par l’équité.

En 1790, Beaumarchais éprouva le besoin de faire de Tarare un roi constitutionnel et de donner à son intronisation en cette qualité tout l’éclat possible. Au cinquième acte donc, la scène changeait et représentait le temple de Brahma, où l’on voyait défiler le cortège suivant :


« Marche nationale. — Soldats en bon ordre. Quatre membres de l’assemblée du peuple, — l’un militaire, le deuxième du collège des brahmes, le troisième un citoyen, le quatrième un cultivateur, — portent un autel élevé sur lequel est inscrit : Autel de la liberté.

« Quatre autres membres ainsi mêlés portent un grand livre avec cette inscription sur la couverture : Livre de la loi. Une grande couronne d’or est

  1. Allusion au refrain de la chanson de Calpigi dans Tarare.