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tille, afin qu’elle s’opère sans obstruer le grand égout placé tout à côté et sans dommage pour les maisons voisines. Peu de temps après, il est nommé, par les électeurs de son district, membre du corps municipal, qu’on appelait alors la représentation de la commune ; mais les dénonciations pleuvent déjà sur lui. Tous ses adversaires dans ses nombreux procès, spécialement dans le dernier, et tous ceux que sa richesse irrite le dénoncent aux fureurs des masses, comme tenant des propos inciviques, ou bien comme accaparant du blé ou des armes. Sa maison, placée à l’entrée même de ce terrible faubourg, quartier-général de l’émeute, se présente là comme une sorte de provocation insolente qui appelle naturellement les visites du peuple. Pour se débarrasser de ces visites dangereuses, Beaumarchais passe sa vie : tantôt à demander des visites officielles, soit des districts, soit de la municipalité, et à faire afficher dans tout le quartier le résultat de ces visites constatant uniformément qu’on n’a rien trouvé de suspect dans sa maison, tantôt à distribuer autour de lui le plus d’argent possible, car le désordre et la misère marchent en même temps, et à proposer à la municipalité toute sorte d’institutions charitables. À la vérité, il fait tout ce bien un peu bruyamment, sa main gauche n’ignore pas absolument ce qu’a donné sa main droite ; mais qui pourrait lui en faire un crime, puisqu’il n’a que ce moyen de se protéger contre la plus injuste et la plus redoutable impopularité ? Tous ces embarras, tous ces dangers personnels ne l’empêchent pas de suivre avec une vive attention la marche des affaires publiques et de dire son mot, toutes les fois que l’occasion s’en présente, avec une franchise qui n’est pas sans courage.

Pour apprécier le mérite de la lettre que nous allons citer, il faut se rappeler l’effet terrible que produisait alors une tragédie que personne ne lit plus aujourd’hui, mais qui, au début de la révolution, fut un véritable événement. Je veux parler de la tragédie de Charles IX, premier ouvrage de la fougueuse jeunesse de Marie-Joseph Chénier. On peut lire dans les Mémoires de Ferrières un tableau saisissant de l’enthousiasme presque sauvage avec lequel chaque soir un parterre déjà enflammé par les événemens accueillait ces vers ronflans et creux, mais sinistres, sonnant le tocsin contre les rois, les prêtres et les nobles, et entretenant au sein des masses le feu des colores et des vengeances. Non-seulement il eût été dangereux de siffler Charles IX, mais il n’était pas prudent de ne pas l’admirer, et cela est si vrai, que ce même Mirabeau, — qui, on s’en souvient, flagellait trois ans auparavant avec tant d’éloquence les railleries de Beaumarchais contre les ordres de l’état, — croyait devoir à l’intérêt de sa popularité de manifester publiquement son admiration pour une tragédie bien autrement révolutionnaire que le Mariage de Figaro.