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suivant lui, se meuvent régulièrement dans des routes prescrites par la nature, et jetant un regard prophétique vers l’avenir, il affirme que la postérité s’étonnera que son âge ait méconnu des vérités si palpables. Il avait raison contre le genre humain tout entier, ce qui équivaut à peu près à avoir tort, et pendant seize siècles encore, la question ne fit aucun progrès, même dans ce XVIe siècle si hardi pour secouer le joug d’autorités bien autrement puissantes. Kepler lui-même après 1600, Kepler le libre penseur, le novateur astronomique, l’inventeur des lois qui règlent les mouvemens célestes, admit les pronostics et les influences cométaires ; et cependant on ne peut pas reprocher une faiblesse superstitieuse à celui qui osait dire aux théologiens attaquant la doctrine de Copernic et de Galilée : Ne vous compromettez pas avec les vérités mathématiques. La hache à qui l’on veut faire couper du fer ne peut pas ensuite entamer même le bois.

Les observateurs du ciel, habitués à la grande régularité des mouvemens des astres, à ce calme, à cette paix qui caractérisent les régions célestes, ne pouvaient voir sans surprise et sans effroi des astres qui semblent éclore subitement dans toutes les régions du ciel, dont la forme et les appendices diffèrent en aspect des autres astres, qui semblent suivis ou précédés de traînées lumineuses souvent immenses, enfin dont la marche, contraire à celle de tous les autres corps célestes mobiles, se termine par une disparition aussi brusque que leur arrivée a été subite. Il n’est point étonnant que la crainte prît naissance entre l’étonnement et l’ignorance, tant il est naturel de voir des prodiges dans les choses qui paraissent extraordinaires et inexplicables.

Pour faire disparaître le prodige, il fallait donc avoir les lois du mouvement des comètes : c’est ce que fit Newton à l’occasion de la grande comète de 1680. Ayant trouvé que, d’après la loi de l’attraction universelle qu’il avait découverte, la marche de la comète devait être une courbe très allongée, il essaya, aidé de Halley, son collaborateur et son ami, de représenter mathématiquement la marche de l’astre nouveau, et il y réussit complètement. Halley s’empara activement de cette branche de l’astronomie, et reconnut plus tard que la comète de 1682 était tellement semblable, dans sa marche autour du soleil, à deux comètes précédemment observées en 1531 et en 1607, que c’était sans doute la même comète, qui dès lors devait reparaître vers 1750.

Par les travaux théoriques de Newton et par les calculs de Halley, la prédiction de Sénèque était accomplie : les comètes, ou du moins quelques-unes d’entre elles, suivaient des orbites régulières. Leur retour pouvait être prévu ; elles cessaient d’être des existences accidentelles : c’étaient de vrais corps célestes à marche fixe et réglée. Le merveilleux cessait, ou plutôt il passait au génie qui avait percé le mystère de la nature ; car, après la puissance créatrice et organisatrice du monde, le premier rang appartient à l’intelligence qui a pénétré la pensée du créateur.

Comme l’histoire de cette comète, qui porte le nom de Halley, se trouve curieusement mêlée à l’histoire des opinions et des événemens humains, il ne sera pas sans intérêt d’en tracer une légère esquisse depuis les siècles passés jusqu’à nos jours. Par sa dernière apparition en 1835, elle appartient essentiellement au XIXe siècle.