Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/835

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
829
REVUE. — CHRONIQUE.

M. Hind, aidé des déterminations des cométographes anciens, des annales astronomiques chinoises traduites par Édouard Biot, et des travaux de M. Laugier, a pu suivre cette comète dans toutes ses apparitions jusqu’à l’an 12 avant notre ère. Depuis cette époque jusqu’en 1835, la comète s’est montrée vingt-quatre fois à la terre, ce qui fait une apparition tous les soixante-dix-sept ans. Voyons de quels événemens elle était témoin, et même presque acteur, en 1456, à l’une de ses apparitions. Les musulmans, avec Mahomet II à leur tête, assiégeaient Belgrade, défendue par Huniade, surnommé l’exterminateur des Turcs. La comète de Halley paraît, et les deux armées sont prises d’une égale crainte. Le pape Calixte III, frappé lui-même de la terreur générale, ordonne des prières publiques, et lance un timide anathème sur la comète et sur les ennemis de la chrétienté. Il établit la prière dite Angelus de midi, dont l’usage continue encore dans toutes les églises catholiques. Les frères mineurs amènent 40 000 défenseurs à Belgrade, assiégée par le conquérant de Constantinople, le destructeur de l’empire d’Orient. Enfin la bataille se livre ; elle dure deux jours sans désemparer. Une mêlée de deux jours fait périr plus de 40 000 combattans. Les frères mineurs, sans armes, le crucifix à la main, étaient aux premiers rangs, invoquant l’exorcisme du pape contre la comète, et détournant sur l’ennemi la colère céleste, dont personne ne doutait alors qu’elle ne fût une manifestation. Quels rudes astronomes ! Enfin, Mahomet II, grièvement blessé, se retire avec une immense perte, abandonnant dans sa fuite tout le matériel du siège, tandis que le vainqueur Huniade meurt des suites de la fatigue qu’il a éprouvée dans un combat, ou plutôt dans une boucherie humaine de vingt-quatre heures consécutives. Voilà de puissans effets d’opinions scientifiques !

Mais remontons plus haut dans l’histoire de cette comète. Elle apparaît au mois d’avril 1066. Les Normands ont à leur tête leur duc Guillaume, surnommé depuis le Conquérant, et sont prêts à envahir l’Angleterre, dont le trône a été usurpé par Harold, malgré la foi jurée à Guillaume. Personne ne doute que la comète ne soit le précurseur de la conquête. Nouvel astre, nouveau souverain. Nova stella ! novus rex ! Tel était le proverbe du temps. Je n’aurais que le choix entre les chroniqueurs qui disent unanimement : Les Normands, guidés par une comète, envahissent l’Angleterre. Ainsi l’un des rayons de la brillante couronne de la reine Victoria est emprunté à la comète de Halley.

Je dois à l’érudition obligeante du savant bibliothécaire de l’Institut la communication du fac-simile de la fameuse tapisserie de Bayeux, où la reine Mathilde, femme du conquérant, et sans doute aussi les femmes qui la servaient, ont dessiné les principales scènes de la conquête, avec des légendes en assez bon latin. On y voit Harold intronisé et recevant les hommages du clergé, de la noblesse et du peuple. Tout à côté une foule de gens tend les bras et les yeux vers une comète qui brille sur leur tête, et dans le même compartiment Harold sur son trône, soucieux, le corps et la tête penchés, reçoit des nouvelles de l’apparition céleste qui le menace. — Voilà qui est bien composé, me disait un membre de l’Académie française, qui suivait avec moi ce curieux dessin. — Ces idées d’influences cométaires, si chimériques aujourd’hui pour nous, étaient dans les siècles précédens d’importantes réalités qui