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décidaient du sort des nations et des rois. — Encore un exemple de l’influence de la comète de Halley ! Nous sommes en 837, sous le règne de Louis le Débonnaire, triste fils et successeur de Charlemagne. Pour abréger, je laisse parler un chroniqueur : « Louis était astronome. Ayant observé une comète en 837, il crut qu’elle lui annonçait de nouveaux malheurs, et tomba dans une mélancolie qui n’eut de fin que celle de sa vie. » Aujourd’hui, dire d’un personnage qu’il est astronome, ce serait précisément dire qu’il n’a aucune peur des comètes. Au reste l’empereur Louis Ier survécut à l’apparition de la comète jusqu’en 840, et s’épuisa en fondations religieuses ; il bâtit des églises et dota des monastères pour détourner de dessus sa tête la colère du ciel, évidemment manifestée par la comète de Halley, que nous allons retrouver encore en France au milieu du siècle dernier, sous le règne de Louis XV, faisant naître de bien autres préoccupations dans l’esprit public.

Halley avait calculé à grand’peine que l’action des planètes retarderait le prochain retour de la comète, et il l’avait prédit pour la fin de 1758 ou le commencement de 1759. Il fallait avec les formules mathématiques perfectionnées calculer exactement l’époque de ce retour. Clairaut entreprit et accomplit en maître la partie algébrique du problème ; mais il restait la tâche immense de calculer numériquement les formules. Deux calculateurs eurent ce courage. C’étaient l’astronome Lalande et Mme Hortense Lepaute, qui, par parenthèse, a donné son nom à l’hortensia, rapporté des Indes par l’astronome Legentil. Pendant six mois, prenant à peine le temps de manger, les deux calculateurs mirent en nombre les formules algébriques de Clairaut, et, au mois de novembre 1758, celui-ci annonça publiquement le retour de la comète pour les premiers mois de l’année suivante. À quelques jours près, la comète fut exacte au rendez-vous, au grand honneur de la loi de l’attraction, comme à celui de Newton et de ses successeurs dans la souveraineté de la science. La comète rentra ensuite dans les espaces célestes, ajournant sa prochaine visite à l’année 1835 ; mais alors, nouveau changement dans l’opinion des savans et du public !

Tant que les comètes, depuis Aristote, Hipparque, Ptolémée, Tycho-Brahé, Kepler, Cassini, avaient semblé jeter à l’esprit humain un défi intellectuel et lui dire : Tu ne connais pas la loi qui me guide ! — une attention anxieuse avait suivi leurs pas. En 1835, tout était connu. Le savant n’avait plus rien à apprendre, l’homme du peuple n’avait rien à espérer ni à craindre. Il n’y avait plus pour le premier un reproche d’ignorance, pour le second un péril de superstition. Tout le monde disait : Comète, que me veux-tu ? Tout récemment, pour la troisième comète de cette année 1853, qui le 31 août brillait au couchant d’un grand éclat à huit heures du soir, par un crépuscule qui aurait éteint toute étoile ou planète, le peuple de Paris qui passait en foule sur les ponts jetait sur ce bel astre un regard de quelques instans en ajoutant : « C’est sur le journal, il y a trois mois qu’on la voit à l’Observatoire ! » Je doute fort que la comète de Halley, à son prochain retour, excite davantage l’attention publique. C’est le cui bono de Cicéron, c’est-à-dire dans quel but d’intérêt s’en occuperait-on ? Non, jamais plus les reines ne dessineront cette comète sur leurs tapisseries, car jamais plus elle n’aura donné le trône aux conquérans.