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Grâce aux efforts persévérans de la marine britannique, le passage du Nord, dont l’existence est si longtemps demeurée problématique, dont la recherche a coûté tant de travaux et de souffrances, est découvert, et l’on rencontre aujourd’hui à Londres des officiers qui sont venus par mer, en passant au nord du continent américain, de l’Océan Pacifique dans l’Océan Atlantique. L’hydrographic Office de l’amirauté anglaise vient de publier une carte sur laquelle sont tracées par le commander Inglefield, l’un des intrépides argonautes de ce monde glacé, les routes qu’ils ont suivies et les terres qu’ils ont côtoyées. Nous avons sous les yeux un exemplaire de cette carte : elle ne se distingue point par l’élégante correction qui est un des caractères des travaux hydrographiques sortis de l’amirauté ; c’est une lithographie dessinée à la hâte, comme le plan d’un champ de bataille le lendemain d’une victoire, et l’empreinte qu’elle porte de l’empressement de l’amirauté à mettre le pays au fait de circonstances glorieuses est elle-même un de ses mérites.

Ce qui frappe au premier aspect du plan de ces lointaines régions, c’est que la baie de Baffin, dont le rivage a longtemps passé pour une des bornes de l’Océan Atlantique, communique par un détroit qui prend successivement les noms de Lancaster et de Barrow, par une mer intérieure assez improprement appelée détroit de Melville, car elle est presque aussi large que longue, et par le détroit de Banks - avec la partie de l’Océan Glacial qui sépare l’Amérique de l’Asie. L’Amérique est donc une île moins avancée vers le nord qu’on ne l’avait cru jusqu’à présent, et au-delà, vers le pôle, sont d’autres terres dont les formes, l’agglomération et l’étendue demeurent un mystère. Tout ce que nous en savons aujourd’hui, c’est qu’elles sont déchirées en profondes échancrures.

La ligne suivie par les navigateurs anglais est comprise entre le 74e et le 75e degré de latitude nord ; elle se tient à son milieu beaucoup plus près du dernier et le franchit même deux fois. On sait que la recherche du passage a été attaquée par l’est et par l’ouest, par la baie de Baffin et par le détroit de Behring. En 1852, les deux navires de découverte le Résolute et l’Intrepid sont venus prendre leurs quartiers d’hiver à l’île Melville, à peu près par 75 degrés de latitude nord et par 109 degrés de longitude ouest de Greenwich ; ils y sont demeurés pris entre les glaces, et l’été de 1853 ne les a pas dégagés. Tendant que les recherches continuaient dans les mers qui se rattachent à la baie de Baffin, le capitaine Mac-Vlure, commandant l’Investigator, après avoir passé le détroit de Behring, partait, le 31 juillet 1850, de la pointe qui ferme au nord la baie de Kotzebue, et marchait vers l’est en côtoyant des terres dont le rivage est plusieurs fois coupé par le 70e degré. Pointant au nord, il découvrait, le 7 septembre, une terre qu’il nommait île Baring, et, la laissant à l’ouest, il s’enfonçait dans le canal du Prince de Galles. Parvenu à l’extrémité de ce passage étroit, tout près du détroit de Melville, l’Investigator était enfermé dans les glaces, et ne recouvrait, sa liberté que le 15 août 1851. Malheureusement il ne pouvait pas poursuivre sa route vers le nord, la mer demeurait barrée de ce côté ; il redescendait donc le détroit du Prince de Galles, et faisant le tour de l’île Baring, en la laissant à tribord,